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Saint-Barthélemy. L'aimable reine qui se plaisait ellemême à jouer le rôle de Rosine dans le Barbier de Séville, se fût-elle jamais douté du triste chemin qui devait la conduire, à quelques années de là, sur la place de la Révolution? L'histoire est venue depuis éclairer d'un contraste dramatique cette Folle Journée, en lui opposant les scènes lugubres du lendemain. Mais ce contraste existe surtout pour nous qui le voyons à distance, et qui rétablissons la suite et la logique des faits. Les contemporains n'avaient guère le temps d'y songer.

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En 1784, époque où parut le Mariage de Figaro, le monde avait encore quelques heures de répit pour s'étourdir et s'amuser. Quand Beaumarchais donna la troisième partie de sa trilogie, la Mère coupable, l'orage avait éclaté, une révolution s'était accomplie. Représentée d'abord en 1792 sur le théâtre du Marais, cette pièce fut reprise en 1797 par les acteurs de la Comédie-Française, après le retour de Beaumarchais exilé. Le temps du rire était passé pour les personnages et pour l'auteur: c'était l'heure du drame sérieux et du pathétique larmoyant. Dans sa pensée, cette œuvre devait être le couronnement de l'édifice dramatique bâti sur le roman de la famille Almaviva.

Peut-être ai-je attendu trop tard, dit-il dans sa préface, pour. achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien longtemps. Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer.... Enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure, avec la tète froide d'un homme et le cœur brûlant d'une

femme, comme on a dit que J.-J. Rousseau écrivait 1.

1. Le romanesque de Julie et de Saint-Preux allié aux théories` dramatiques de Diderot.

Nous sommes loin du ton railleur et du persiflage ironique qui distinguent les préfaces du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro. On voit que nous rentrons dans le genre maussade d'Eugénie et des Deux Amis. Le pathétique, qu'il a tenté vainement d'introduire avec Figaro et Marceline dans la Folle Journée, est ici le grand ressort sur lequel il compte pour entraîner les spectateurs. Il écrit à la comtesse d'Albany en 1791:

Faites une observation avec moi quand je veux rire, c'est aux éclats s'il faut pleurer, c'est aux sanglots. Je n'y connais de milieu que l'ennui. Admettez donc que vous viendrez à la lecture de mardi: mais écartez les cœurs usés, les âmes desséchées, qui prennent en pitié ces douleurs que nous trouvons si délicieuses. Ces gens-là ne sont bons qu'à parler révolution. Ayez quelques femmes sensibles, des hommes pour qui le cœur n'est pas une chimère, et puis pleurez à plein canal1.

Les larmes sont donc, pour Beaumarchais, une source abondante d'émotions dramatiques. Mais il lui faut des cœurs neufs, et ils étaient rares alors. Le but moral est plus que jamais la grande ambition de l'auteur: il s'agit de montrer dans l'intérieur de la famille les conséquences d'une double faute, l'expiation et le 'pardon réciproque échangé entre les époux. Malgré certaines scènes d'un effet pathétique vraiment puissant, les teintes grises et sombres du mélodrame s'étendent comme un brouillard de crépuscule sur cette maison, jadis si brillante et si gaie d'AguasFrescas. Les personnages nous reviennent sous un aspect nouveau, vieillis, usés, meurtris par la vie, et justifiant ce mot profond des anciens : « Ceux qui meurent jeunes sont aimés des dieux ».

1. Mme d'Albany lui avait demandé de faire chez elle une lecturę de sa Mère coupable,

Figaro lui-même a perdu sa belle humeur : il est devenu morose, chagrin, grondeur, intriguant toujours, mais sans verve, sans entrain, avec un fonds d'amertume et de désenchantement universel. Ayant à lutter contre un hypocrite retors, il lui oppose froidement le même genre de diplomatie sourde, de mines et de contremines, auxquelles manquent la flamme et l'élan de la jeunesse. L'argent est d'ailleurs toujours la grosse affaire; le hasard, le grand dieu sur lequel on compte pour tout arranger. Avant de mourir, le vieux Figaro rend à son vieux maître un dernier service, en sauvant sa fortune des mains d'un fripon qui a failli l'accaparer.

Bazile, que nous avions retrouvé dans le Mariage de Figaro, continuant son honnête métier, a disparu : il est remplacé par un major irlandais, Begearss, dans lequel Beaumarchais a décrit un de ses ennemis personnels, l'avocat Bergasse, son adversaire dans le procès Kornman. Begearss, ce nouveau Tartufe, comme l'appelle l'auteur, très inférieur à l'ancien, est un vilain homme n'ayant rien de comique, un traître de mélodrame et rien de plus. Ce n'est point un Tartufe, de religion, mais un Tartufe d'honneur et de probité, jouant la délicatesse et le désintéressement. Geoffroy fait remarquer à cette occasion que Dufresny avait déjà donné jadis le Faux honnête homme et le Faux sincère, « où l'on trouve, dit-il, des traits originaux fort utiles aux gens d'esprit qui n'ont point le talent d'invention »>.

Le Comte, plus morose et plus jaloux que jamais, est venu s'établir à Paris vers la fin de 1790, non sans doute pour y trouver le calme, mais pour y négocier la vente de ses biens et l'échange de sa fortune, qu'il

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veut transporter sur la tête d'une jeune fille, Florestine, élevée chez lui comme sa pupille, mais en réalité sa fille naturelle, qu'il destine comme femme à Begears. Il songe en même temps à déshériter le seul fils qui lui reste, ce jeune Léon dont la naissance lui est suspecte.

La Comtesse, de son côté, pieuse, bonne et toujours mélancolique, expie dans la douleur et le repentir une faute d'un jour, dont le perfide Begearss fournit la preuve à son époux, après vingt ans. Le critique Geoffroy se moque des oraisons ferventes et des jérémiades dévotes de Mme Almaviva, qui garde les lettres de son ancien amant et les relit en secret de temps à autre. N'est-ce pas là, dit-il, un étalage de fausse piété ?«< D'après des dispositions si équivoques, le plus ignorant vicaire de village ne lui donnerait pas l'absolution. » La fidèle Suzanne est restée près de sa maîtresse, dont elle partage les chagrins et les secrets, aidant Figaro à déjouer les ruses de l'abominable Begearss, qu'elle feint, un moment, de seconder. C'est toujours l'imbroglio, mais sans l'entrain et la gaieté qui en faisaient le charme dans les deux comédies précédentes. On souffre de voir la pauvre Comtesse accablée sous le remords de sa faute, prise entre le courroux d'un époux offensé et les trames insidieuses d'un scélérat.

Les amours de Léon et de Florestine ont aussi quelque chose de pénible et de troublé. Ces deux jeunes gens, trompés par Begearss, en viennent à se croire frère et sœur, et se trouvent arrêtés dans leur projet d'union. L'heureux hasard d'une naissance irrégulière va rendre possible ce mariage tant désiré.

Cette pièce de la Mère coupable, si elle est, avant

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