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Moi, par exemple, puis-je avoir l'âme contente?
Nul travail obligé ne gêne mes loisirs;

Je fais des vers, je bois, je chante,

Je n'ai point à l'hymen asservi mes désirs;
J'ai vingt mille livres de rente,

Bons amis, maîtresse charmante,

Est-ce là du bonheur? Sont-ce là des plaisirs?

Je le dis franchement, je suis las de la vie 1.

Boileau rencontre de mauvais vers sur son chemin ; il voit Cotin s'asseoir près de lui à l'Académie : autant de misères qui font prendre le monde en dégoût. Aussi convient-on, d'un commun accord, d'aller se jeter à la Seine. La Forêt, qui a tout entendu, court prévenir son maître. Molière feint d'approuver ses amis, s'associe à leur projet, et propose seulement de le remettre au lendemain : Mourons avec éclat, mourons en plein midi.

Une mort dans l'ombre serait honteuse. La motion est adoptée, et le lendemain personne ne songe plus à tenir sa promesse. Chapelle s'indigne et proteste contre cette ridicule intention:

Finir mes jours dans l'eau !... Je l'ai trop en horreur 2. C'est ainsi qu'Andrieux a ressuscité pour un moment, à nos yeux, les images et les hommes d'autrefois. Doux pouvoir de la poésie, qui fait d'un simple souvenir une source d'émotions et de visions charmantes, où le cœur est satisfait comme l'esprit. Pourtant ce n'est là encore qu'une bluette, comme nous l'avons dit. Si aimable qu'il soit, le talent d'Andrieux, sobre, discret, timide, ne fait que reprendre les sentiers battus, les chemins doux-fleurants du passé. D'autres plus hardis et plus ambitieux rêvaient l'avènement d'un art nouveau.

1. Scène XIV.

2. Scène XIX.

CHAPITRE XXIX

FABRE D'ÉGLANTINE (1755-1794). MERCIER (1740-1814).

Les Gens de lettres. — Le Présomptueux. — Le Philinte de Molière. L'Intrigue épistolaire. — Nouvel Essai sur l'Art dramatique. La Brouette du vinaigrier.

I

A ce couple aimable et pacifique de Collin d'Harleville et d'Andrieux nous opposerons deux écrivains qui représentent l'humeur révolutionnaire au théâtre comme en politique: Fabre d'Églantine et Mercier.

Né à Carcassonne en 1755, Fabre est un brillant et tempêtueux fils du Midi. Malgré son origine et ses prétentions démocratiques, il éprouve le besoin d'ajouter à son nom celui d'Eglantine, en mémoire d'un prix gagné à l'Académie des Jeux Floraux. Il a toute la présomption et l'impatience d'un homme avide de fortune et de renommée. Esprit remuant, inquiet, chagrin, envieux, mécontent, petit professeur et mauvais comédien, avec un fonds d'intelligence et de talent très réel, mais inculte et bizarre, il arrive à Paris les poches pleines de tragédies, de comédies, le cœur gonflé d'orgueil, et déjà de rancunes contre ceux qui semblent le méconnaître.

Il est l'antithèse vivante de son heureux rival, Collin

d'Harleville. Le lendemain du jour où l'Inconstant (1786) recueillait les sympathies et les bravos du public, encourageant les débuts d'un jeune poète aimable et bon enfant,. Fabre s'annonçait par un défi jeté à ses confrères: une comédie satirique intitulée les Gens de lettres ou le Poète provincial à Paris. L'intrigue en était mal liée, le style dur et heurté; et cependant on y sentait déjà un tour d'esprit incisif et provocant, qui éclate dans cette peinture des coteries littéraires ou bureaux d'esprit :

Des gens que vous vantez, quels étaient les discours?
De malheureux rébus et de plats calembours,

De sottes questions en mots scientifiques,

Sur un air d'opéra des cours métaphysiques 1.

L'œuvre fut sifflée à l'unanimité: mais l'auteur avait pris rang parmi les réfractaires et les intransigeants du temps.

La seconde tentative de Fabre était une tragédie, Augusta, où il mettait en scène, sous des noms romains, l'aventure et la mort du jeune chevalier de la Barre, qui avait si fort ému le monde. Malgré les avances faites au parti philosophique, il ne réussit pas mieux cette fois. Le Présomptueux, qu'il tenta d'opposer aux Châteaux en Espagne, fut pour lui l'occasion d'un nouveau déboire. Les spectateurs ne laissèrent pas achever la pièce, et réclamèrent l'Inconstant. Collin d'Harleville intervint personnellement auprès des acteurs pour s'opposer à cette substitution. Les sifflets pleuvaient sur Fabre comme les bravos sur Collin. De là un sentiment d'envie et bientôt de haine violente s'alluma dans le cœur de l'auteur maltraité,

1. La critique allait droit au Tarare de Beaumarchais.

contre le favori du public. Les passions politiques vinrent se joindre aux jalousies littéraires et leur servir de voile ou de prétexte. Toute la bile concentrée de Fabre s'épancha dans le Philinte de Molière, sa meilleure comédie et l'une de celles dont on se souvient encore parmi les œuvres du dix-huitième siècle. La préface, aussi fameuse que la pièce, était une protestation emphatique et une accusation haineuse, dirigée contre l'auteur de l'Optimiste, dont il disait :

Cette comédie ne tend qu'à affermir les grands et les riches dans leurs usurpations physiques et morales, qu'à pallier leurs cupidités, qu'à effacer l'odieux de leurs vexations, qu'à légitimer leur égoïsme. Par contre-coup, elle porte les opprimés à accepter la servitude, les dupes à l'insouciance, les victimes de l'arbitraire à la lâcheté, et les malheureux au silence.

J'attaque M. Collin comme le ministère public attaquerait le vendeur de mithridate sur ses tréteaux : c'est mon devoir de citoyen que de sauver la vérité, et c'est encore mon plaisir.

La vertu de Fabre ressemble à celle d'un inquisiteur fanatique prêt à crier lui aussi : « Crois comme nous, ou tu seras brûlé ».

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Quand je lis à la tête du Philinte, dit Geoffroy, cette préface homicide assaisonnée de fiel, inspirée par la rage, je frissonne d'horreur; quelle infernale hypocrisie!» Sans doute, cette préface n'est un modèle, ni de bon goût, ni de bonne foi, ni de bon style. Le démagogue s'y montre autant que l'homme de lettres envieux. Cependant Fabre n'est peut-être pas aussi criminel, aussi hypocrite que le suppose Geoffroy. Nous avons peu de sympathie pour l'homme dont son ancien collègue Dulaure disait : « Il avait beaucoup de talent, et fort peu de délicatesse ». Mais, à cette époque d'effervescence, on conçoit, jusqu'à un certain point, la guerre faite aux tièdes, aux indifférents, à

ceux qui s'enferment dans leur égoïsme et leur insensibilité. A l'heure où les grandes luttes de la Révolution s'engagent, où les dévouements vont devenir plus que jamais nécessaires, on comprend cette espèce de fougue, d'élan qui fait d'Alceste un vaillant champion de la justice et de l'humanité :

Le théâtre n'est-il qu'un passe-temps frivole?
Aux jours de liberté qu'il devienne une école!
Allez, qui voit le siècle et tout ce que j'ai vu,
Dans le cœur du méchant quand on est descendu,
Et qu'alors indigné, du bord de cet abîme,
On est poussé de verve à démasquer le crime,
A-t-on l'âme timide et le style mielleux?
Déchirons, sans pitié, le voile frauduleux
Dont l'égoïste adroit se pare et s'enveloppe;
Sur la scène évoquons l'ombre du Misanthrope 1.

La sanglante tragédie du siècle est commencée, et Fabre d'Églantine y jouera son rôle ; il y apporte et il y risque sa tête. Ami de Camille Desmoulins, de Lacroix, de Danton, dont il fut le sécrétaire, il les accompagne sur l'échafaud et rachète par une mort courageuse les mauvaises paroles et les mauvaises actions qui ont pu souiller sa vie et son talent. A ce moment suprême, la gloire littéraire est encore sa dernière préoccupation; il jette au peuple les fragments de ses poésies, que nul ne prit alors soin de recueillir 2.

Comme écrivain, Fabre d'Églantine a laissé un nom et le souvenir d'un talent auquel ont manqué le travail et le recueillement, pour donner tout ce qu'il portait en germe. Moins gracieux, moins facile et moins riant que Collin d'Harleville, il a plus d'énergie, de verve caustique, de profondeur dans les analyses mo

1. Prologue.

2. Il existe cependant un volume d'œuvres posthumes de Fabre d'Églantine, publié depuis par Thiessé.

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