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On avoit beau leur répondre que la méchanceté même des vers marquoit qu'ils partoient d'un dieu qui avoient un noble mépris pour les règles, ou pour la beauté du style. Les philosophes ne se payoient point de cela; et pour tourner cette réponse en ridicule, ils rapportoient l'exemple de ce peintre à qui on avoit demandé un tableau d'un cheval qui se roulât à terre sur le dos. Il peignit un cheval qui couroit; et quand on lui dit que ce n'étoit pas-là ce qu'on lui avoit demandé, il renversa le tableau, et dit : « Ne voilà -t-il pas le » cheval qui se roule sur le dos»? C'est ainsi que ces philosophes se moquoient de ceux qui, par un certain raisonnement qui se renversoit, eussent conclu également que les vers étoient d'un dieu soit qu'ils eussent été bons, soit qu'ils eussent été méchans.

Il fallut enfin que les prêtres de Delphes, accablés des plaisanteries de tous ces gens-là, renonçassent aux vers, du moins pour ce qui se prononçoit sur le trépié; car hors de-là il y avoit dans le temple des poëtes, qui, de sang - froid, mettoient en vers ce que la fureur divine n'avoit inspiré qu'en prose à la Pythie. N'est-il pas plaisant qu'on ne se contentât point de l'oracle tel qu'il étoit sorti de la bouche du dieu? Mais apparemment des gens qui venoient de loin, eussent été honteux de ne reporter chez eux qu'un oracle en prose.

Comme on conservoit l'usage des vers le plus qu'il étoit possible, les dieux ne dédaignoient point de se servir quelquefois de quelques vers d'Homère, dont la versification étoit assurément meilleure que la leur. On en trouve assez d'exemples; mais, et ces vers empruntés, et les poëtes gagés des temples, doivent passer pour autant de marques que l'ancienne poésie naturelle des oracles s'étoit fort décriée.

Ces grandes sectes de philosophes contraires aux oracles, durent leur faire un tort plus essentiel que celui de les réduire à la prose. Il n'est pas possible qu'ils n'ouvrissent les yeux à une partie des gens raisonnables, et qu'à l'égard du peuple même ils ne rendissent la chose un peu moins certaine qu'elle n'étoit auparavant. Quand les oracles avoient commencé à paroître dans le monde, heureusement pour eux la philosophie n'y avoit point encore paru.

CHAPITRE VI I.

Dernières causes particulières de la décadence des Oracles.

LA fourberie des oracles étoit trop grossière pour n'être pas enfin découverte par mille différentes

aventures.

que

Je conçois qu'on reçut d'abord les oracles avec avidité et avec joie, parce qu'il n'étoit rien plus commode d'avoir des dieux toujours prêts à répondre sur tout ce qui causoit de l'inquiétude ou de la curiosité. Je conçois qu'on ne dut renoncer à cette commodité qu'avec beaucoup de peine, et que les oracles étoient de nature à ne devoir jamais finir dans le paganisme, s'ils n'eussent pas été la plus impertinente chose du monde : mais enfin, à force d'expérience, il fallut bien s'en dé

sabuser.

Les prêtres y aidèrent beaucoup par l'extrême hardiesse avec laquelle ils abusoient de leur faux ministère. Ils croyoient avoir mis les choses au point de n'avoir besoin d'aucuns ménagemens.

Je ne parle point des oracles de plaisanteries qu'ils rendoient quelquefois. Par exemple, à un homme qui venoit demander au dieu cé qu'il de

voit faire pour devenir riche, ils lui répondoient agréablement : « Qu'il n'avoit qu'à posséder tout » ce qui est entre les villes de Sicione et de Co»rinthe». Aussi badinoit-on quelquefois avec eux. Polémon dormant dans le temple d'Esculape, pour apprendre de lui les moyens de se guérir de la goutte, le dieu lui apparut, et lui dit : « Qu'il » s'abstînt de boire froid ». Polémon lui répondit : Que ferois-tu donc, mon bel ami, si tu avois » à guérir un bœuf» ? Mais ce ne sont-là que des gentillesses de prêtres qui s'égayoient quelquefois, et avec qui on s'égayoit aussi.

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Ce qui est plus essentiel, c'est que les dieux ne manquoient jamais de devenir amoureux des belles femmes; il falloit qu'on les envoyât passer des nuits dans les temples, parées de la main même de leurs máris, et chargées de présens pour payer le dieu de ses peines. A la vérité,` on fermoit bien les temples à la vue de tout le monde; mais on ne garantissoit point aux maris les chemins souterreins.

Pour moi, j'ai peine à concevoir que de par reilles choses aient pu être pratiquées seulement une fois. Cependant Hérodote nous assure qu'au huitième et dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, étoit un lit magnifique, où couchoit toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s'en faisoit autant à Thèbes

en Égypte. Et quand la prêtresse de l'oracle dé Patare en Licie, devoit prophétiser, il falloit auparavant qu'elle couchât seule dans le temple où Apollon venoit l'inspirer.

Tout cela s'étoit pratiqué dans les plus épaisses ténèbres du paganisme, et dans un temps où les cérémonies payennes n'étoient pas sujettes à être contredites mais à la vue des chrétiens, le Saturne d'Alexandrie ne laissoit pas de faire venir les nuits, dans son temple, telle femme qu'il lui plaisoit de nommer par la bouche de Tyrannus. son prêtre. Beaucoup de femmes avoient reçu cet honneur avec grand respect; et on ne se plaignoit point de Saturne, quoiqu'il soit le plus âgé et le moins galant des dieux. Il s'en trouva une à la fin, qui, ayant couché dans le temple, fit réflexion qu'il ne s'y étoit rien passé que de fort humain, et dont Tyrannus n'eût été assez capable. Elle en avertit son mari, qui fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, et Dieu sait quel scandale dans Alexandrie.

Le crime des prêtres, leur insolence, divers événemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies, l'obscurité, l'incertitude et la fausseté de leurs réponses, auroient donc enfin décrédité les oracles, et en auroient causé la ruine entière, quand même le paganisme n'auroit pas dû finir.

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