FABLE I V. La Grenouille & le Poiffon. de UNE grenouille perdit fa compagne. Dans fa douleur, elle s'affit un jour fur le bord de la mer. Là, jetant les yeux tous côtés, elle cherchoit un foulagement à fes peines. Elle apperçoit au mi lieu de l'eau un poiffon que le courant emportoit avec célérité, & qui fendoit la furface des flots, comme la tenaille coupe uue lame d'argent. Elle conçut auffitôt le projet de fe lier avec lui; elle Jui raconte fa perte, & lui demande de vivre avec elle. » La conformité de » mœurs & de caractère n'eft-elle pas, » répondit-il, le lien effentiel de toute: fociété ? la différence, dans ces deux » points, n'en eft-elle pas l'ennemie ? "Quel rapport y a-t-il entre nous deux? J'habite le fond de la mer, toi le rivage: je fuis taciturne, tes rau-»ques accens frappent continuellement » les airs: ta difformité te défend de »tes ennemis, on te fuit quand on » te voit; ma gentilleffe me fait dreffer » des embûches; chacun veut me faifir; " c'est pour me prendre que les oiseaux »se balancent dans l'air; les animaux » des champs me defirent; le pêcheur » me guette pour m'envelopper d'un » filet, ou pour me percer avec un » hameçon. «< Après ces mots il va fe mêler aux poiffons dans la profondeur des mers, & la grenouille refte feule fur le rivage. ་ Gardez-vous de lier amitié avec quel qu'un auquel votre collier ne puiffe aller. Recherchez vos égaux: s'unir fans fympathifer, c'eft mêler de l'eau à de la graiffe; fuivre l'ami contraire, c'eft mettre du fucre dans du lait.. FABLE V. L'Ane & le Chameau. UN âne & un chameau voyageoient enfemble: ils arrivèrent près de la rive d'un fleuve. Le chameau y entre le premier; il eft à peine au milieu, qu'il crie à fon compagnon : » Allons,mettez-vous dans » l'eau, elle ne paffe pas la hauteur » de mon ventre. J'en conviens, re"prend l'âne; mais elle me couvriroit » tout entier, «‹ Ne cherche point à paroître plus grand que tu n'es en effet. Si quelqu'un te loue plus que tu ne mérites, mesure tes forces, & ne les paffe pas. FABLE V I. Le Moineau. UN moineau quitta le nid de fes pères; il en bâtit un autre près de celui d'une cigogne. Comme on lui faifoit voir qu'il ne convenoit pas qu'un animal fi petit & fi vil fe fixât près d'un oiseau illuftre & puiffant, & voulût faire fociété avec lui: » Je fais tout cela, ré»pondit-il, & n'en fuis pas effrayé. Il » y a près d'ici un maudit ferpent qui, » tous les ans, quand j'ai pondu mes » petits, fe gliffe dans mon nid, & se » faoule de leur fang. Cet année j'ai » fui ce lieu funefte, & fuis venu me » mettre fous la garde de cet oifeau » vigoureux. Ou je me trompe, ou je » serai vengé de mon ennemi : tous » les ans il dévoroit mes petits; cette |