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je me fusse tué à imaginer des fables allégoriques, il eût bien pu arriver que la plupart des gens auraient pris la fable comme une chose qui n'eût point trop été hors d'apparence, et auraient laissé là l'allégorie; et en effet, vous devez savoir que mes dieux, tels qu'ils sont, et tous mystères à part, n'ont point été trouvés ridicules.

ESOPE. Cela me fait trembler; je crains furieusement que l'on ne croie que les bêtes aient parlé, comme elles font dans mes apologues.

HOMERE. Voilà une plaisante peur.

ESOPE. Hé quoi, si l'on a bien cru que les dieux aient pu tenir les discours que vous leur avez fait tenir, pourquoi ne croirat-on pas que les bêtes aient parlé de la manière dont je les ai faît parler ?

HOMERE. Ah! ce n'est pas la même chose. Les hommes veulent bien que les dieux soient aussi fous qu'eux; mais ils ne veulent pas que les bêtes soient aussi sages.

DIALOGUE VI.

ATHENAIS, ICASIE.

ICASIE.

PUISQUE VOUS voulez savoir mon aventure, la voici. L'empereur sous qui je vivais, voulut se marier; et pour mieux choisir une impératrice, il fit publier que toutes celles qui se croyaient d'une beauté et d'un agrément à prétendre au trône, se trouvassent à Constantinople. Dieu sait l'affluence qu'il y eut. J'y allai, et je ne doutai point qu'avec beaucoup de jeunesse, avec des yeux très-vifs, et un air assez agréable et assez fin, je ne pusse disputer l'empire. Le jour que se tint l'assemblée de tant de jolies prétendantes, nous parcourions toutes d'une manière inquiète les visages les unes des autres; et je remarquai avec plaisir que mes rivales me regardaient d'assez mauvais œil. L'empereur parut. Il passa d'abord plusieurs rangs de belles sans rien dire ; mais quand il vint à moi, mes yeux me servirent bien, et ils l'arrêtèrent. En vérité, me dit-il, en me regardant de l'air que je pouvais souhaiter, les femmes sont bien dangereuses, elles peuvent faire beaucoup de mal. Je crus qu'il n'était question que d'avoir un peu d'esprit, et que j'étais impératrice; et dans le trouble d'espérance et de joie où je me trouvais, je fis un effort pour répondre. En récompense, Seigneur, les femmes peuvent faire et ont fait quelquefois beaucoup de bien. Cette réponse gâta tout. L'empereur la trouva si spirituelle, qu'il n'osa m'épouser.

ATHÉNAIS. Il fallait que cet empereur-là fût d'un caractère bien étrange, pour craindre tant l'esprit, et qu'il ne s'y connût guère, pour croire que votre réponse en marquât beaucoup; car franchement, elle n'est pas trop bonne, et vous n'avez pas grand'chose à vous reprocher.

ICASIE. Ainsi vont les fortunes. L'esprit seul vous a faite impératrice; et moi la seule apparence de l'esprit m'a empêchée de l'être. Vous saviez même encore la philosophie, ce qui est bien pis que d'avoir de l'esprit; et avec tout cela, vous ne laissâtes pas d'épouser Théodose le jeune.

ATHÉNAIS. Si j'eusse eu devant les yeux un exemple comme le vôtre, j'eusse eu grand'peur. Mon père, après avoir fait de moi une fille fort savante et fort spirituelle, me déshérita, tant il se tenait sûr qu'avec ma science et mon bel esprit, je ne pouvais manquer de faire fortune, et à dire le vrai, je le croyais comme lui. Mais je vois présentement que je courais un grand hasard, et qu'il n'était pas impossible que je demeurasse sans aucun bien, et avec la seule philosophie en partage.

ICASIE. Non, assurément; mais par bonheur pour vous, mon aventure n'était pas encore arrivée. Il serait assez plaisant que dans une occasion pareille à celle où je me trouvai, quelqu'autre qui saurait mon histoire, et qui voudrait en profiter, eût la finesse de ne laisser point voir d'esprit, et qu'on se moquât d'elle.

ATHÉNAIS. Je ne voudrais pas répondre que cela lui réussît, si elle avait un dessein; mais bien souvent, on fait par hasard les plus heureuses sottises du monde. N'avez-vous pas ouï parler d'un peintre qui avait si bien peint des grappes de raisin, que des oiseaux s'y trompèrent, et les vinrent becqueter? Jugez quelle réputation cela lui donna. Mais les raisins étaient portés dans le tableau par un petit paysan: on disait au peintre, qu'à la vérité il fallait qu'ils fussent bien faits, puisqu'ils attiraient les oiseaux; mais qu'il fallait aussi que le petit paysan fût bien mal fait, puisque les oiseaux n'en avaient point de peur. On avait raison. Cependant, si le peintre ne se fût pas oublié dans le petit paysan, les raisins n'eussent pas eu ce succès prodigieux qu'ils eurent.

ICASIE. En vérité, quoi qu'on fasse dans le monde, on ne sait ce que l'on fait; et après l'aventure de ce peintre, on doit trembler, même dans les affaires où l'on se conduit bien, et craindre de n'avoir pas fait quelque faute qui eût été nécessaire. Tout est incertain. Il semble que la fortune ait soin de donner des succès différens aux mêmes choses, afin de se moquer toujours de la raison humaine, qui ne peut avoir de règle assuree.

DES MORTS ANCIENS

AVEC DES MODERNES.

DIALOGUE PREMIER.

AUGUSTE, PIERRE ARETIN.

P. ARÉTIN.

Oui, je fus bel esprit dans mon siècle, et je fis auprès des

princes une fortune assez considérable.

AUGUSTE. Vous composâtes donc bien des ouvrages pour eux? P. ARÉTIN. Point du tout. J'avais pension de tous les princes de l'Europe, et cela n'eût pas pu être, si je me fusse amusé à louer. Ils étaient en guerre les uns avec les autres : quand les uns battaient, les autres étaient battus; il n'y avait pas moyen de leur chanter à tous leurs louanges.

AUGUSTE. Que faisiez-vous donc ?

P. ARETIN. Je faisais des vers contre eux. Ils ne pouvaient pas entrer tous dans un panégyrique, mais ils entraient bien tous dans une satire. J'avais si bien répandu la terreur de mon nom, qu'ils me payaient tribut pour pouvoir faire des sottises en sûreté. L'empereur Charles V, dont assurément vous avez entendu parler ici-bas, s'étant allé faire battre fort mal à propos vers les côtes d'Afrique, m'envoya aussitôt une assez belle chaîne d'or. Je la reçus, et la regardant tristement : Ah! c'est ià bien peu de chose, m'écriai-je, pour une aussi grande folie que celle qu'il a faite.

AUGUSTE. Vous aviez trouvé là une nouvelle manière de tirer de l'argent des princes.

P. ARETIN. N'avais-je pas sujet de concevoir l'espérance d'une merveilleuse fortune, en m'établissant un revenu sur les sottises d'autrui! c'est un bon fonds, et qui rapporte toujours bien.

AUGUSTE. Quoi que vous en puissiez dire, le métier de louer est plus sûr, et par conséquent meilleur.

P. ARETIN. Que voulez-vous ? je n'étais pas assez imprudent pour louer.

AUGUSTE. Et vous l'étiez bien assez pour faire des satires sur les têtes couronnées.

P. ARÉTIN. Ce n'est pas la même chose. Pour faire des satires,

il n'est pas toujours besoin de mépriser ceux contre qui on les fait; mais pour donner de certaines louanges fades et outrées, il me semble qu'il faut mépriser ceux mêmes à qui on les donne, et les croire bien dupes. De quel front Virgile osait-il vous dire qu'on ignorait quel parti vous prendriez parmi les dieux, et que c'était une chose incertaine, si vous vous chargeriez du soin des affaires de la terre, ou si vous vous feriez dieu marin, en épousant une fille de Thétis, qui aurait volontiers acheté de toutes ses eaux l'honneur de votre alliance, ou enfin, si vous voudriez vous loger dans le ciel auprès du scorpion, qui tenait la place de deux signes, et qui, en votre considération, se serait mis plus à l'étroit?

AUGUSTE. Ne soyez pas étonné que Virgile eût ce front-là. Quand on est loué, on ne prend pas les louanges avec tant de rigueur: on aide à la lettre, et la pudeur de ceux qui les donnent est bien soulagée par l'amour-propre de ceux à qui elles s'adressent. Souvent on croit mériter des louanges qu'on ne reçoit pas; et comment croirait-on ne mériter pas celles qu'on reçoit?

P. ARÉTIN. Vous espériez donc sur la parole de Virgile, que vous épouseriez une nymphe de la mer, ou que vous auriez un appartement dans le zodiaque?

AUGUSTE. Non, non. De ces sortes de louanges-là on en rabat quelque chose, pour les réduire à une mesure un peu plus raisonnable; mais à la vérité on n'en rabat guère, et on se fait à soi-même une bonne composition. Enfin, de quelque manière outrée qu'on soit loué, on en tirera toujours le profit de croire qu'on est au-dessus de toutes les louanges ordinaires, et que par son mérite, on a réduit ceux qui louaient à passer toutes les bornes. La vanité a bien des ressources.

P. ARÉTIN. Je vois bien qu'il ne faut faire aucune difficulté de pousser les louanges dans tous les excès; mais du moins pour celles qui sont contraires les unes aux autres, comment a-t-on la hardiesse de les donner aux princes? Je gage, par exemple, que quand vous vous vengiez impitoyablement de vos ennemis, il n'y avait rien de plus glorieux, selon toute votre cour, que de foudroyer tout ce qui avait la témérité de s'opposer à vous; mais qu'aussitôt que vous aviez fait quelque action de douceur, les choses changeaient de face, et qu'on ne trouvait plus dans la vengeance qu'une gloire barbare et inhumaine. On louait une partie de votre vie aux dépens de l'autre. Pour moi, j'aurais craint que vous ne vous fussiez donné le divertissement de me prendre par mes propres paroles, et que vous ne m'eussiez dit: Choisissez de la sévérité ou de la clé

mence, pour en faire le vrai caractère d'un héros, mais après cela, tenez-vous-en à votre choix.

AUGUSTE. Pourquoi voulez-vous qu'on y regarde de si près? Il est avantageux aux grands que toutes les matières soient problématiques pour la flatterie. Quoi qu'ils fassent, ils ne peuvent manquer d'être loués ; et s'ils le sont sur des choses opposées, c'est qu'ils ont plus d'une sorte de mérite.

P. ARÉTIN. Mais quoi, ne vous venait-il jamais aucun scrupule sur tous les éloges dont on vous accablait? Etait-il besoin de raffiner beaucoup, pour s'apercevoir qu'ils étaient attachés à votre rang? Les louanges ne distinguent point les princes on n'en donne pas plus aux héros qu'aux autres; mais la postérité distingue les louanges qu'on a données à différens princes. Elle confirme les unes, et déclare les autres de viles flatteries.

AUGUSTE. Vous conviendrez donc du moins que je méritais les louanges que j'ai reçues, puisqu'il est sûr que la postérité les a ratifiées par son jugement. J'ai même en cela quelque sujet de me plaindre d'elle; car elle s'est tellement accoutumée à me regarder comme le modèle des princes, qu'on les loue d'ordinaire en me les comparant, et souvent la comparaison me fait tort.

P. ARÉTIN. Consolez-vous, on ne vous donnera plus ce sujet de plainte. De la manière dont tous les morts qui viennent ici parlent de Louis XIV, qui règne aujourd'hui en France, c'est lui qu'on regardera désormais comme le modèle des princes, et je prévois qu'à l'avenir, on croira ne les pouvoir louer davantage, qu'en leur attribuant quelque rapport avec ce grand roi. AUGUSTE. Hé bien, ne croyez-vous pas que ceux à qui s'adressera une exagération si forte, l'écouteront avec plaisir?

P. ARÉTIN. Cela pourra être. On est si avide de louanges, qu'on les a dispensées et de la justesse, et de la vérité, et de tous les assaisonnemens qu'elles devraient avoir.

AUGUSTE. Il paraît bien que vous voudriez exterminer les louanges. S'il fallait n'en donner que de bonnes, qui se mêlerait d'en donner?

P. ARÉTIN. Tous ceux qui en donneraient sans intérêt. Il n'appartient qu'à eux de louer. D'où vient que votre Virgile a si bien loué Caton, en disant qu'il préside à l'assemblée des plus gens de bien, qui, dans les champs Elysées, sont séparés d'avec les autres ? C'est que Caton était mort; et Virgile, qui n'espérait rien ni de lui, ni de sa famille, ne lui a donné qu'un seul vers, et a borné son éloge à une pensée raisonnable. D'où vient qu'il vous a si mal loué en tant de paroles au commencement de ses Géorgiques? Il avait pension de vous.

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