Louis Petit de Bachaumont MÉMOIRES SECRETS POUR SERVIR A L'HISTOIRE RÉPUBLIQUE DES LETTRES DEPUIS M. DCC. LXII JUSQU'A NOS JOURS; O U JOURNAL D'UN OBSERVATEUR; MÉMOIRES Bales Champ SECRETS 9187 POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES EN FRANCE, DEPUIS M. DCC. LXII, JUSQU'A NOS JOURS. ANNEE M. D C C. LX V I. x Mars. COMPLIMENT du R. P. Martial Hardi, récollet, fait au Roi à l'ouverture du carême de cette année. SIRE, Pofféder la plus brillante couronne, commander à un peuple digne d'obéir au premier maître du monde, régner fur autant de cœurs que l'on compte de fujets : voilà, SIRE, les privileges de votre fceptre, & l'étendue de votre empire: redoutable à vos ennemis, alors même que le fuccès couronne leurs efforts; respecté de vos alliés, qui vous trouvent équitable dans vos projets défintéreffé dans vos vues, invariable dans vos engage ments; chéri, adoré prefque d'une nation inépuifable dans fes reffources, quand elle les cherche dans fon amour : que manque-t-il à votre gloire? Ofons le dire cependant, tant d'avantages réunis n'affurent point la vraie grandeur: ils peuvent fixer ici-bas la plus vafte ambition; mais après tout, ils n'offrent rien que de frivole & de périffable: la mort les efface, le tombeau les anéantit. Il n'eft de gloire folide que celles que donnent les vertus chrétiennes. Le vainqueur de Fontenoy, le pacificateur de l'Europe, le pere des François, vivra à jamais dans dans nos fastes, mais nos faftes périront. Le digne fils de l'églife, le prince vraiment chrétien, le monarque religieux; voilà, SIRE, vos titres les plus augultes, , titres durables, que la religion confacre, & qui feuls peuvent vous affurer la véritable immortalité. 2 Mars. Le préfervatif contre le clergé, ou lettre à un curé, de prės 80 pages. Cet écrit tend à prouver: 1°. Que la bulle unigenitus n'eft ni ne peut être une loi dogmatique. 2°. Que le fouverain a droit d'impofer filence fur un pareil décret, & de fermer l'entrée de fes états. 3°. Que cette loi, fût-elle réellement dogmatique, l'oppofition n'eft pas un crime. 4°. Que dès-lors l'oppofition ne peut être punie par un refus de facrements. 50. Que, quand elle feroit de nature à mériter cette punition,'elle n'a été prononcée par aucune loi. } 60. Que le magiftrat peut donc & doit empêcher ce refus. 70. Qu'enfin tout exercice extérieur du miniftere religieux eft foumis à l'inspection des loix & du magiftrat, qui en eft par fon état le défenfeur. 3 Mars. Avant-hier M. l'archevêque de Toulouse (Brienne) a prononcé à NotreDame l'oraifon funebre du Dauphin. Cet orateur n'a pas répondu à l'attente qu'on avoit de lui: il n'a dit que des chofes communes & nous n'avons point trouvé dans fon fiyle cette chaleur & cette rapidité qu'exige tout di..ours éloquent. 4 Mars. M. l'évêque de Lavaur eft nommé pour faire l'oraison funebre du roi Stanislas. 4 Mars. On débite imprimée une Réponse du Roi au parlement, en date du 3 mars dont le fonds & la forme font également intéreffants; ce font les principes du defpotisme établis avec la plus grande hardieffe fur ceux du droit naturel. Quant au ftyle, il est fort, nerveux, noble à quelques phrases prés, très-entortillées. 5 Mars. On a donné avant-hier pour la premiere fois la premiere & derniere repréTentation de Guftave, de M. de la Harpe. Il place fon héros dans les montagnes de la Dalecarlie. Ce drame a eu beaucoup de peine à parvenir jufqu'à la fin, & les deux derniers actes ont été foufferts très-impatiemment. Rien de plus miférable auffi. Cet auteur, au lieu d'augmenter, n'a fait que décroître depuis fa premiere tragédie, & montre abfolument dans celle-ci fon incapacité. C'eft un monftre dramatique de toutes façons, où il ne fe trouve aucune beauté même de détail. |