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l'auditoire de cet Apôtre un chef-d'œu vre de Poëfie en fe tenant dans les bornes de la vrai-femblance la plus exacte. Un Cynique appuïé fur fon bâton, & qu'on reconnoît pour tel à l'éfronterie & aux haillons qui faifoient le caractere de la Secte de Diogene, regarde faint Paul avec impudence. Un autre Philofophe qu'on juge à fon air de tête un homme ferme & même obftiné, a le menton fur la poitrine: il eft abforbé dans des reflexions fur les merveilles qu'il entend, & l'on croit s'appercevoir qu'il paffe dans ce moment-là de l'ébranlement à la perfuafion. Un autre a la tête panchée sur l'épaule droite, & il regarde l'Apôtre avec une admiration pure, qui ne paroît pas encore accompagnée d'aucun autre fentiment. Un autre porte le fecond doigt de fa main droite fur fon nez, & fait le gefte d'un homme qui vient d'être enfin éclairé fur des veritez dont il avoit depuis long-tems une idée confufe, Le Peintre oppofe à ces Philofophes des jeunes gens & des femmes qui marquent leur étonnement & leur émotion par des geftes convenables à leur âge comme à leur fexe. Le chagrin eft peint fur le vifage d'un homme vêtu comme le pou

voient être alors chez les Juifs les gens de la Loi. Le fuccès de la Prédication de faint Paul devoit produire un pareil effet fur un Juif obstiné. La crainte d'être ennuieux m'empêche de parler davantage des perfonnages de ce tableau, mais il n'en eft aucun qui ne rende compte très-intelligiblement de fes fentimens au fpectateur attentif.

J'alleguerai encore un exemple. La matiere eft affez importante pour cela. le tirerai de la Sufanne de Monfieur Coypel, tableau qui fut très-vanté, même au fortir de deffus le chevalet. Sufanne y comparoît devant le peuple accufée d'adultere, & le Peintre la reprefente dans l'inftant où les deux vieillards dépofent contre elle. A la phifionomie de Sufanne, à l'air de fon vifage encore ferein malgré fon affliction on connoît bien que fi elle baiffe les yeux, c'est par pudeur & non par remord. La nobleffe & la dignité de fon vifage déposent fi hautement en fa faveur, qu'on fent bien que fon premier mouvement feroit d'abfoudre d'abord l'accufée qui fe préfenteroit avec une pareille contenance. Le Peintre a varié le temperament des fameux vieillards, l'un paroît fanguin, l'autre paroît bilieux

Tome I.

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& mélancolique. Ce dernier, fuivant le caractere propre à fon temperament qui eft l'obftination, commet le crime avec conftance. On n'apperçoit fur fon vifage que de la fureur & de la rage. Le fanguin paroît attendri, & l'on voit bien que, malgré fon emportement, il fent déja des remords qui le font chanceler dans fa réfolution. C'eft le caractere des hommes de ce temperament. Affez violens pour fe venger, ils ne font point affez durs pour voir les fuires de leur des mouvengeance fans être émus par vemens de compaffion.

Il eft facile de conclure après ce que je viens d'expofer, que la Peinture fe plaît à traiter des fujets où elle puiffe introduire un grand nombre de perfonnages intereffez à l'action. Tels font les fujets dont nous avons parlé, & tels font encore le meurtre de Cefar, le facrifice d'Iphigenie, & plufieurs autres qu'il feroit fuperflu d'indiquer. L'émotion des affiftans les lie fuffifamment à une action, dès que cette action les agite. L'émotion de ces affiftans les rend, pour ainfi dire, des acteurs dans un tableau, au lieu qu'ils ne feroient que de fimples fpectateurs dans un Poëme. Par exemple, un Poëte qui traiteroit le fa

crifice de la fille de Jephté, ne pourroit faire intervenir dans fon action qu'un petit nombre d'acteurs très-intereffez. Des acteurs qui ne prennent pas un interêt effentiel à l'action, dans laquelle on leur fait jouer un rôle, font froids à l'excès en Poëfie. Le Peintre au contraire peut faire intervenir à fon action autant de fpectateurs qu'il le juge convenable. Dès qu'ils y paroiffent touchez, on ne demande plus ce qu'ils y font.

La Poëfie ne fçauroit donc fe prévaloir d'un fi grand nombre d'acteurs. Nous venons de dire qu'un perfonnage qui ne prend qu'un interêt médiocre dans l'action, devient un perfonnage ennuieux. S'il y prend un grand interêt, il faut que le poëme fixe fa destinée, & qu'il nous en inftruife. La multitude des acteurs, dont le Poëte Tragique veur quelquefois foutenir fa fterilité, devient d'ailleurs très - embaraffante pour lui quand le dénouement s'approche, & · quand il faut s'en défaire. Il oblige donc ces perfonnages à fe défaire eux-mêmes par le fer ou par le poison fur le premier motif qu'il imagine.

L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené

C'est un vers de Despreaux (a) qu'on peut bien leur appliquer quoiqu'il ne foit pas fait pour eux. On ne demande point ce que devient un mort, on l'enterre. Mais cette reforme fanglante, qui fait de la fcene tragique un champ de bataille, fouleve le fpectateur contre tant de meurtres fi peu vrai-femblables, Ce n'eft pas la quantité du fang répandu, c'eft la maniere dont il eft verfé qui fait le caractere de la Tragedie. D'ailleurs le Tragique outré devient froid, & l'on eft plus porté à rire d'un Poëte, qui croit devenir pathetique à force de verfer du fang, qu'à pleurer à fa piece. Quelque efprit malin envoïe lui demander la lifte de fes morts.

En continuant de comparer la Poësie Dramatique avec la Peinture, nous trou, verons encore que la Peinture a l'avantage de pouvoir mettre fous nos yeux ceux des incidens de l'action qu'elle traite, qui font les plus propres à faire une grande impreffion fur nous. Elle peut nous faire voir Brutus & Caffius plongeans le poignard dans le cœur de Cefar, & le Prêtre enfonçant le couteau dans le fein d'Iphigenie. Le Poëte Tragique oferoit aufli peu nous préfen (a) Art. poët, chant. 4.

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