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païs, & l'on oublie difficilement tout ce qu'on peut avoir appris dans l'enfance. Il n'en eft pas ainfi de l'hiftoire moderne, tant Ecclefiaftique que Profane. Chaque païs a fes Saints, fes Rois & fes grands Perfonnages très- connus & que tout le monde y reconnoît facilement, mais qui ne font pas reconnus de même en d'autres païs. Saint Petrone vêtu en Evêque, & portant fur la main la ville de Boulogne caracterifée par fes principaux bâtimens & par fes tours, n'eft pas une figure connue en France generalement comme elle l'eft en Lombardie. Saint Martin coupant fon manteau, action dans laquelle les Peintres & les Sculpteurs le réprefentent ordinairement, n'eft pas d'un autre côté une figure auffi connuë en Italie qu'elle l'eft en France.

Les François fçavent communement l'hiftoire de France depuis deux fiecles. Ils ont une idée de l'air du vifage & des habillemens de ceux qui ont fait la plus grande figure dans ces tems - là. Mais une tête de Henri IV. ne feroit pas deviner le fujet d'un tableau en Italie comme elle le feroit deviner en France. Chaque peuple a même fes fables particulieres & fes Heros imaginaires

Les Heros du Taffe & de l'Ariofte ne font pas auffi connus en France qu'en Italie. Ceux de l'Aftrée font plus connus aux François qu'aux Italiens. Je ne fçais que Dom Quichotte, Heros d'un genre particulier, dont les proucffes foient auffi connues des étrangers que des compatriotes de l'ingenieux Efpagnol qui lui a donné l'être

Horace paffe avec raison pour le plus judicieux des auteurs qui ont donné des enfeignemens aux Poëtes. Qu'on voïe ce qu'il ne laiffe pas de leur confeiller malgré les facilitez particulieres qu'ils ont pour faire connoître leurs perfonnages & pour mettre le lecteur au fait de leur fujet.

Rectius Iliacum carmen deducis in actus,
Quàm fi proferres ignota indictaque primus.

Vous ferez encore mieux de choisir le fujet de votre piece parmi les évenemens de la guerre de Troye fi fouvent mis au théatre, que d'imaginer à plaifir l'action de votre Tragedie, ou de tirer de la pouffiere de quelque livre ignoré des Heros dont le monde n'en→ tendit jamais parler, & d'en faire vos perfonnages. Que n'eut pas dit Horace aux Peintres s'il leur avoit adreffé la role.

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pa

XIV.

SECTION

Qu'il eft même des fujets Specialsment propres à certains genres de Poefie & de Peinture. Du Sujet propre à la Tragedie.

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On feulement certains fujets font plus avantageux pour la Poëfie que pour la Peinture, ou pour la Peinture que pour la Poëfie; mais il eft encore des fujets plus propres à chaque genre de Poëfie & à chaque genre de Peinture, qu'aux autres genres de Poëfie & de Peinture. Le facrifice d'Iphigenie, par exemple, ne convient qu'à un tableau ou le Peintre puiffe donner à fes figures une certaine grandeur. Un pareil fujet ne veut pas être réprefenté avec de petites figures deftinées à l'embelliffement d'un païfage. Un fujet grotefque ne veut pas être traité avec des figures auffi grandes. que le naturel. Des figures plus grandes que nature ne feroient point propres à réprefenter une toilette de Venus. Qu'on ne me demande point les raifons phyfi ques de ces convenances, je n'en pourrois alleguer d'autres que l'inftin& qui

nous les dicte & l'exemple des grands Peintres qui les ont obfervées.

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Il en eft de même de la Poëfie: les évenemens tragiques ne font point propres à être racontez en Epigramme. L'Epigramme peut tout au plus relever & mettre en fon jour quelque circonftance brillante de ces évenemens; elle peut nous en faire admirer quelque trait mais elle ne peut nous y intereffer. A peine en compte-t-on cinq ou fix bonnes parmi les anciennes & les modernes qui roulent fur de pareils fujets. La Comedie ne veut point traiter des actions atroces, Thalie ne fçauroit faire les imprécations ni impofer les peines dûës aux grands crimes. L'Eglogue ne convient pas aux paffions violentes & fanguinaires..

Quelques reflexions que je vais faire fur les actions propres à la Tragedie, empêcheront peut-être ceux qui voudront bien y faire attention, de fe méprendre fur le choix des fujets qui lui conviennent.

Le but de la Tragedie étant d'exciter principalement en nous la terreur & la compaffion, il faut que le Poëte tragique nous faffe voir en premier lieu des perfonnages aimables & eftimables,

& qu'il nous les réprefente enfuite en un état veritablement malheureux. Commencez par faire eftimer aux hommes ceux que vous voulez leur faire plaindre. Il est donc neceffaire que les perfonnages de la Tragedie ne meritent point d'être malheureux, ou du moins d'être auffi malheureux qu'ils le font. Si leurs malheurs ne font pas une pure infortune, mais une punition de leurs fautes, ils en doivent être une punition exceffive. Du moins fi ces fautes font de veritables crimes, il ne faut pas que ces crimes aïent été commis volontairement. Oedipe ne feroit plus un principal perfonnage de Tragedie, s'il avoit fçu dans le tems de fon combat, qu'il tiroit l'épée contre fon propre pere. Le malheur des fcelerats font peu propres à nous toucher; ils font un juste fupplice dont l'imitation ne fçauroit exciter en nous ni terreur, ni compaffion veritable.

Un évenement terrible eft celui qui nous étonne & qui nous épouvante à la fois. Or rien n'eft moins étonnant que le châtiment d'un homme qui par les crimes irrite le ciel & la terre. Ce feroit l'impunité des grands criminels qui pourroit furprendre; leur châtiment ne

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