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dit, les personnes qu'un fang fans aigreur & des humeurs fans venin ont prédeftinées à une vie interieure fi douce, font bien rares. La fituation de leur efprit eft même inconnuë au commun des hommes qui, jugeant de ce que les autres doivent fouffrir de la folitude par ce qu'ils en fouffrent eux-mêmes, pensent que la folitude foit un mal douloureux pour tout le monde.

La premiere maniere de s'occuper dont nous aïons parlé, qui eft celle de fe livrer aux impreffions que les objets étrangers font fur nous, eft beaucoup plus facile. C'est l'unique refsource de la plupart des hommes contre l'ennui; & même les perfonnes qui fçavent s'occuper autrement font obligées, pour ne point tomber dans la langueur qui fuit Îa durée de la même occupation, de fe prêter aux emplois & aux plaifirs du commun des hommes. Le changement de travail & de plaifir remet en mouvement les efprits qui commencent à s'appefantir: ce changement femble ren-. dre à l'imagination épuifée une nouvelle vigueur.

Voilà pourquoi nous voïons les hommes s'embaraffer de tant d'occupations frivoles & d'affaires inutiles. Voilà ce

ne

qui les porte à courir avec tant d'ardeur après ce qu'ils appellent leur plaifir, comme à fe livrer à des paffions dont ils connoiffent les fuites fâcheuses, même par leur propre experience. L'inquietude que les affaires caufent, ni les mouvemens qu'elles demandent, fçauroient plaire aux hommes par euxmêmes. Les paffions qui leur donnent les joïes les plus vives leur causent auffi des peines durables & douloureuses; mais les hommes craignent encore plus l'ennui qui fuit l'inaction, & ils trouvent dans le mouvement des affaires & dans l'yvreffe des paffions une émotion qui les tient occupez. Les agitations qu'elles excitent fe réveillent encore durant la folitude; elles empêchent les hommes de fe rencontrer tête à tête, pour ainfi dire, avec eux-mêmes fans être occupez, c'eft-à-dire de fe trouver dans l'affliction ou dans l'ennui.

Quand les hommes dégoutez de ce qu'on appelle le monde prennent la refolution d'y renoncer, il eft rare qu'ils puiffent la tenir. Dès qu'ils ont connu l'inaction, fitôt qu'ils ont comparé ce qu'ils fouffroient par l'embarras des affaires & par l'inquietude des paffions avec l'ennui de l'indolence, ils viennent

à regreter l'état tumultueux dont ils étoient fi dégoutez. On les accufe fouvent à tort d'avoir fait parade d'une moderation feinte lorfqu'ils ont pris le parti de la retraite. Ils étoient alors de bonne foi; mais comme l'agitation exceffive leur a fait fouhaiter une pleine tranquillité, un trop grand loifir leur fait regreter le tems où ils étoient toujours occupez. Les hommes font encore plus legers qu'ils ne font diffimulez; & fouvent ils ne font coupables que d'inconftance, dans les occafions où l'on les accufe d'artifice.

Veritablement l'agitation où les paffions nous tiennent, même durant la folitude, eft fi vive, que tout autre état eft un état de langueur auprès de cette agitation. Ainfi nous courons par inftinct après les objets qui peuvent exciter nos paffions, quoique ces objets faffent fur nous des impreffions qui nous coutent fouvent des nuits inquietes & des journées douloureufes mais les hommes en general fouffrent encore plus à vivre fans paffions, que les paffions ne les font fouffrir.

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SECTION II.

De l'attrait des Spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des Gladiateurs.

C

Ette émotion naturelle qui s'excite en nous machinalement, quand nous voïons nos femblables dans le danger ou dans le malheur, n'a d'autre attrait que celui d'être une paffion dont les mouvemens remuent l'ame & la tiennent occupée; cependant cette émotion a des charmes capables de la faire rechercher malgré les idées triftes & importunes qui l'accompagnent & qui la - fuivent. Un mouvement que fa raifon réprime mal, fait courir bien des perfonnes après les objets les plus propres à déchirer le cœur. On va voir en foule un fpectacle des plus affreux que les hommes puiffent regarder, je veux dire le fupplice d'un autre homme qui fubit la rigueur des loix fur un échaffaut, & qu'on conduit à la mort par des tourmens effroïables: on devroit prévoir néanmoins, fuppofé qu'on ne le fçut pas déja par fon experience, que les circonftances du fupplice, que les gemif

femens de fon femblable feront fur lui, malgré lui-même, une impreffion dutable qui le tourmentera long-tems avant que d'être pleinement effacée ; mais l'attrait de l'émotion eft plus fort pour bien des gens que les reflexions & que les confeils de l'experience. Le monde dans tous les païs va voir en foule les fpectacles horribles dont je viens de parler.

C'est le même attrait qui fait aimer les inquietudes & les allarmes que caufent les perils où l'on voit d'autres hommes expofez fans avoir part à leurs dangers. Il eft touchant, dit Lucrece, (a) de voir du rivage un vaiffeau luter contre les vagues qui le veulent engloutir comme de regarder une bataille d'une hauteur d'où l'on voit en fûreté la mêlée.

-Suave mari magno turbantibus aquóra ventis

́E terra alterius magnum fpectare laborem:
-Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos inftructa tui fine parte pericli.

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Plus les tours qu'un voltigeur temeraire fait fur la corde font perilleux, plus le commun des fpectateurs s'y rend attentif. Quand il fait un faut entre deux épées prêtes à le percer, fi dans la cha

(a) De Nat. Rer, lib. z.

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