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lant rendre l'action intereffante. L'ufade ce qui fe paffe dans le monde & l'experience de nos amis au défaut de la nôtre, nous apprennent qu'une paffion contente s'ufe tellement en douze années, qu'elle devient une fimple habitude. Un Heros, obligé par fa gloire & par l'interêt de fon autorité à rompre cette habitude, n'en doit pas être affez affligé pour devenir un perfonnage tragique: il ceffe d'avoir la dignité requile aux perfonnages de la Tragedie, fi fon affliction va jufqu'au defefpoir. Un tel malheur ne fçauroit l'abbattre s'il a un peu de cette fermeté fans laquelle on ne fçauroit être, je ne dis pas un Heros, mais même un homme vertueux. La gloire, dira-t-on, l'emporte à la fin, & Titus, de qui l'on voit bien que vous voulez parler, renvoïe Berenice chez elle.

Je répondrai donc que ces combats que livre Titus ne font pas dignes de lui, ni dignes d'occuper la fcene tragique durant cinq actes. Alleguer qu'à la fin la vertu triomphe de la paffion, ce n'eft pas juftifier le caractere de Titus. Une pareille raifon pourroit tout au plus juftifier celui d'une jeune Princeffe qui, durant quatre actes, auroit fait voir la Tome I.

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foibleffe que montre cet Empereur. C'eft faire tort à la réputation qu'il a laiflée, c'eft aller contre les loix de la vraifemblance & du pathetique veritable que de lui donner un caractere fi mol & fi effeminé. L'Hiftorien, dont Monfieur Racine a tiré le fujet de fa piece, raconte feulement que Titus, renvoïa Berenice, & qu'ils fe feparerent à regret. Berenicem ftatim ab urbe dimifit invitus invitam. (a) Cet Auteur ne dit point que Titus fe foit abandonné à la douleur exceffive où il eft toujours plongé dans la piece dont je parle. Quand même l'avanture feroit narrée par Suetone avec les circonftances dont Monfieur Racine a trouvé bon de la revêtir, il n'auroit pas dû la choifir comme un fujet propre à la scene tragique. La gloire du fuccès ne répare pas toujours la honte d'un combat où nous devions remporter l'avantage d'abord. Un ennemi bien inégal nous furmonte en quelque façon, s'il difpute trop long-tems la victoire contre nous. En effet dix mille Allemands, qui n'auroient battu fix mille Turcs en rafe campagne qu'après un combat de douze heures, feroient honreux de leur propre victoire. Auffi quoi

(4) Sucion, in Tit. Vejpaf. Sect. 7.

que Berenice foit une piece très methodique & parfaitement bien écrite, le public ne la revoit pas avec le même goût que Phédre & qu'Andromaque. Monfieur Racine avoit mal choisi fon fujet, & pour dire plus exactement la verité, il avoit eu la foibleffe de s'engager à la traiter fur les inftances d'une grande Princeffe. Quand il fe chargea de cette tâche, l'ami, dont les confeils lui furent tant de fois utiles, étoit abfent. Defpreaux a dit plufieurs fois qu'il eut bien empêché fon ami de fe confommer fur un fujet auffi peù propre à la Tragedie que Berenice, s'il avoit été à portée de le diffuader de promettre qu'il le

traiteroit.

Infpirez toujours de la veneration pour les perfonnages deftinez à faire verfer des larmes. Ne faites jamais chaulfer le cothurne à des hommes inferieurs à plufieurs de ceux avec qui nous vivons: autrement vous ferez auffi blamable que fi vous aviez fait ce que Quintilien appelle: Donner le rôle d'Hercule à jouer à un enfant. Perfonam Herculis & cothurnos aptare infantibus.

SECTION

XVII.

S'il eft à propos de mettre de l'amour dans les Tragedies.

On fujet amene ici naturellement

M deux queftions. La premiere, s'il

eft à propos de mettre de l'amour dans les Tragedies; & la feconde, fi nos Poëtes Tragiques ne donnent point trop de part à cette paffion dans les intrigues de leurs pieces,

Tous les hommes que nous trouvons dignes de notre eftime nous intereffent à leurs agitations comme à leurs malheurs, mais nous fommes fenfibles principalement aux inquietudes comme aux afflictions de ceux qui nous reffemblent par leurs paffions. Tous les difcours qui nous ramenent à nous-mêmes, & qui nous entretiennent de nos propres fentimens, ont pour nous un attrait particulier. Il eft donc naturel d'avoir de la prédilection pour les imitations qui depeignent d'autres nous-mêmes, c'est-àdire des perfonnages livrez à des paffions que nous reffentons actuellement, ou que nous avons reffenties autrefois.

L'homme fans paffion eft une chimete, mais l'homme en proïc à toutes les paffions n'eft pas un être moins chimerique. Le même temperament qui nous livre aux unies, nous garentit des autres. Ainfi il n'y a que certaines paffions qui aïent un rapport particulier avec nous, & dont la peinture ait des droits privilegiez fur notre attention.

Les hommes qui ne reffentent pas les mêmes paffions que nous, ne font pas autant nos femblables que ceux qui les reffentent; ces derniers tiennent à nous par des liens particuliers. Par exemple, Achile, impatient de partir pour aller faire le fiege de Troïe, attire bien l'attention de tout le monde, mais il intereffe bien davantage à fa destinée un jeune homme avide de la gloire militaire, qu'un homme dont l'ambition eft de fe rendre le maître de foi-même pour devenir digne de commander aux autres. Ce dernier s'intereffera bien da vantage au caractere que Corneille donne à l'Empereur Augufte dans la Tragedie de Cinna, & qui ne touchera que foiblement le partisan d'Achile.

Les peintures d'une paffion que nous n'avons pas reffentie, ou d'une fituation dans laquelle nous ne nous fom

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