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les Poëtes François le donnoient fouvent à leurs Amoureux. Les Dames Françoifes, aufquelles für tout il faut être complaifant, ne trouveroient point ces Heros affez gracieux. Le veritable amour jette fouvent du ridicule fur les perfonnages les plus ferieux. En effet le Parterre rit prefqu'auffi haut qu'à une fcene de Comedie à la réprefentation de la derniere fcene du fecond acte d'Andromaque, où Monfieur Racine fait une peinture naïve des tranfports & de l'aveuglement de l'amour veritable, dans tous les difcours que Pyrrhus tient à Phoenix fon confident.

L'Auteur Anglois qui réprend la pa role, prétend que nos Poëtes, afin de pouvoir mettre de l'amour par tout, ont pris l'habitude de donner le nom. d'amour & de paffion à l'inclination generale d'un fexe pour l'autre fexe, determinée en faveur d'une certaine per fonne par quelques fentimens d'eftime & de préference. Ils ont donc fait chauf fer le cothurne à cette inclination machinale, qui n'est rien moins qu'une paffion tragique & capable de balancer les autres paffions. Quelques-uns même n'ont pas de honte de donner pour un veritable amour une paffion qui ne com

mence que durant le cours de la piece, quoiqu'il foit contre la vrai-femblance qu'une paflion naiffante puiffe devenir en un jour une paffion extrême. Quand on veut faire jouer un rolle important à l'amour, il faut du moins qu'il foit né depuis un tems, qu'il ait eu le loifir de s'enraciner dans un cœur, & même. qu'il ait eu de l'efperance. Mais il eft vrai que les bons Poëtes François ne nous amufent point avec ces paffions fubites.

Voilà ce qui rend les Galands des Tragedies Françoifes fi differens des hommes veritablement amoureux. On croiroit que l'amour fut une paffion gaie à ouir les gentilleffes que ces Galands difent aux perfonnes qu'ils aiment; ils ornent leurs difcours enjouez de ces traits ingenieux, de ces métaphores brillantes, enfin de toutes les expreffions fleuries qui ne fçauroient naître dans une imagination libre. On les entend fans ceffe s'applaudir des fers qu'ils portent, & ils fouhaitent que leurs chaînes foient éternelles, nouvelle preuve qu'ils n'en fentent point le poids. Loin de regarder leur amour comme une foibleffe des plus humiliantes, ils le contemplent comme une vertu glorieufe

que

dont ils fe fçavent gré. Ce qui prouve feul qu'ils ne font pas veritablement amoureux; ils prétendent mettre d'accord l'amour avec la raifon, deux chofes auffi peu compatibles que la fievre & la fanté.

Qua res

Nec modum habet neque confilium, ratione mo*
do que
Tractari non vult. In amore has funt mala, bel-
lum

Pax rurfum. Hac fi tempeftatis prope ritu
Mobilia & coca fluitantia forte, laboret
Reddere certa, fibi nihilo plus explicet ac fi
Dfanire paret certa ratione modoque. (a)

Les amoureux ne font point concer tez. En amour on fe querelle fans fujet, on le raccommode fans raison. Les idées des amans n'ont point de liaison fuivie. Le cours de leurs fentimens n'eft pas mieux reglé que le cours de ces vagues qu'un vent capricieux foûleve à fon gré durant la tempête. Vouloir affujetir ces fentimens à des principes vouloir les ranger dans un ordre certain, c'eft vouloir qu'un frenetique ait des vifions fuivies dans fes delires. Mais il importe peu quelle foit la fubftance des chofes qu'on préfente à certaines Na

(c) Horat. Sat. 3. l.

tions, pourvû qu'elles foïent apprêtées en forme de ragoût.

Un autre inconvenient, ajoute l'Anglois, qui vient de la mauvaise mode de mettre de l'amour par tout; c'eft que les Poëtes François font amoureux à leur mode des Princes âgez & des Heros qui, dans tous les tems, ont eu une reputation de fermeté qui nous les réprefente d'un caractere bien oppofé à celui qu'ils leur prêtent. Ces Heros, ainfi défigurez, paroîtront peut-être aux petits-fils de ceux qui les admirent tant aujourd'hui, des perfonnages barboüillez exprès pour être rendus ridicules. Ils prendront pour un genre de la Poësie burlefque, qui durant un tems fut en vogue parmi les François, les pieces où Brutus, Arminius & d'autres perfonnages illuftres par un courage inflexible & même par leur ferocité, font réprefentez fi tendres & fi galands. Ils mettront ces poëmes dans la même claffe que le Virgile travefti. Voilà ce qui doit arriver tôt ou tard aux Poëtes qui ne s'affujetiffent pas à copier la nature dans leurs imitations, qui ne s'embarraffent point que leurs perfonnages reffemblent à des hommes, & qui font trop contens quand ces personnages ont je ne

fçais quel bon air. C'eft avoir bien oublié la fage leçon que donne Monfieur Defpreaux dans le troifiéme chant de fon Art poëtique, où il decide fi judicieufement qu'il faut conferver à fes perfonnages leur caractere national.

Gardez donc de donner ainfi que dans Clelie
L'air & l'efprit François à l'antique Italie,
Et fous des noms Romains faifant notre por-
trait,

Peindre Caton galand & Brutus dameret.

l'an

L'Auteur Anglois prétend que cienne Chevalerie & fes Infantes ont laiffé dans l'efprit de quelques Nations le goût qui leur fait aimer à retrouver par tout un amour fans paffion & ce qu'elles appellent galanterie, efpece de politeffe que les Grecs & les Romains fi fpirituels & fi cultivez n'ont jamais connue. Cette galanterie, dit-il, que les François qui, ne s'embaraffent pas tant d'approfondir les chofes, n'ont jamais bien définie, eft une affectation de témoigner aux femmes par politeffe les fentimens d'un amour que l'on n'a pas, mais dont l'apparence ne laiffe point de les flater. Suivant notre Auteur la nation Françoise a beaucoup de pente vers l'affectation, & dans les tems où

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