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elle ceffoit d'être groffiere fans être encore polie, elle a voulu montrer plus de gentilleffe qu'elle n'en avoit. Trop fpirituelle pour être encore barbare, mais trop peu éclairée pour connoître la dignité des mœurs; elle a conçu dans l'amour un merite que les Nations sensées n'y trouvent point. Elle s'eft donc imaginée qu'il y eut une efpece de vertu à dépendre en efclave des volontez, ou pour parler plus fincerement, des caprices de quelqu'Infante, à lui rapporter tout ce qu'on faifoit, à ne vivre que pour la fervir. Les Carouzels & les Tournois ont nourri cette manie par leurs livrées, leurs devifes & tout leur badinage. Enfin il eft devenu à la mode d'être amoureux dans un païs où tout fe decide fuivant la mode, même le merite des Generaux & celui des Predicateurs. De là font nées les extravagances de tant d'amans dont la plupart n'étoient point amoureux; les uns fe font fait affommer en écrivant le nom des belles qu'ils penfoient aimer fur les murailles des villes affiegées; d'autres font allez de vie àtrepas pour avoir voulu rompre dans les portes d'une ville ennemie leur lance enrichie des livrées d'une maîtreffe qu'ils n'aimoient point, ou qu'ils n'aimoient

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gueres. L'hiftoire fait foi qu'il eft arrivé à plufieurs de ces Meffieurs pour un fi digne fujet, les avantures qui arriverent à notre Huddibras quand il couroit les champs pour rétablir un chacun dans fes libertez & proprietez, même les ours qu'on menoit par force danfer aux foires.* Un Prince fe fait tuer dans un Tournois en voulant, difoit-il, rompre encore une lance en l'honneur des Dames. Un autre 's'eft mis au hazard de fe rompre vingt fois le col, parce qu'il trouvoit plus galand de fe guinder à l'ai

* C'eft le nom du heros d'un efpece de Poëme épique, écrit en Anglois fous le regne de Charles II. par un homme de la Maifon Butler, à ce qu'on croit. Il fuppofe que les maximes que prêchoient les Presbiteriens fur l'exactitude de la juftice, maximes impraticables en ce bas monde, & qui fous Charles I. leur firent bouleverser l'Angleterre, afin d'y reparer de petits defordres, avoient tourné la tête à fon Huddibras, comme la lecture des Romans de chevalerie avoit renversé la cervelle au pauvre Dom Quichotte. Huddibras fe mit donc aux champs pour travailler à rendre à chacun fes droits, proprietez & franchises, & même aux ours qu'on menoit danfer aux foires pour le profit d'autrui, & qu'on avoit arbitrairement dépouillé de leur liberté naturelle, fans leur avoir fait précedemment le procès fuivant la loi & devant leurs Pairs. Ses avantures finiffent ordinairement comme celles du heros de Cervantes & de Trivelin.

de d'une échelle de corde dans l'apparte ment de fa femme, que d'y entrer par la porte. Un troifiéme eft defcendu dans une folle aux lions pour en rapporter à fa Dame le gand qu'elle n'y avoit jetté que pour l'envoïer chercher, & pour fe faire un fort leger honneur au peril de la vie d'un homme dont l'entêtement meritoit du moins de la compaffion. C'eft affez parler de ces caprices qui feroient prendre les François, les Espagnols & quelques autres Nations pour des peuples de fols par les Grecs du tems d'Alexandre & par les Romains du tems d'Augufte, fi, pour me fervir de l'expreffion tant ufitée, les uns & les autres pouvoient revenir au monde. Les Romans de Chevalerie & de Bergerie ont encore fomenté chez les François le goût qui leur fait demander de l'amour par tout. Voilà la fource de cet amour imaginaire qui fe trouve dans la plupart de leurs écrits. Les Etrangers, fur tout ceux qui font déterminez par leur humeur à ne fe contenter que d'images & de peintures faites veritablement d'après la nature, lifent ces endroits fans en être émus.

Il n'en eft pas de même des Peintures de l'amour qui font dans les écrits

des anciens: elles touchent tous les peuples; elles ont touché tous les ficcles, parce que le vrai fait fon effet dans tous les tems & dans tous les païs. Ces Peintures trouvent par tout des cœurs qui reffentent les mouvemens dont elles font des imitations naïves. Ainfi l'amour que les bons Poëtes de la Grece avoient mis dans leurs Ouvrages touchoit infiniment les Romains, parce que les Grecs avoient dépeint cette paflion avec fes couleurs naturelles.

Spirat adhuc amor
Vivuntque commiffi calores
Folia fidibus puella.

dit Horace (4) en parlant des vers de Sapho. Qu'on voïe dans celle des odes de cette fille que Monfieur Defpreaux a tournée en François dans fa Traduction de Longin, quels font les fymptômes de l'amour-paffion. Les peintures de cette paffion qui font dans les poëfies des Romains nous touchent comme celles qui font dans les poëfies des Grecs touchoient les Romains. Les amoureux que les uns & les autres ont introduits dans leurs Ouvrages ne font pas de froids galands, mais des hommes livrez malgré eux à des transports qui les maî, Sn) Od. 9. lib. 4.

g.

trifent, & qui font fouvent des efforts inutiles pour arracher de leur cœur des traits dont la morfure les defefpere. Telle eft l'Eglogue de Virgile qui porte le nom de Gallus.

SECTION

XIX.

De la galanterie qui est dans nos

J

Poëmes.

E vais encore rapporter aux François ce que dit un autre Ecrivain Anglois fur la galanterie de nos Poëtės. Les rapports ont un attrait fi picquant, qu'on ne fçauroit fe défendre d'aimer à les entendre; & en des matieres pareilles à celles dont il s'agit ici, il n'eft ni mal honnête, ni dangereux de conrenter la curiofité des perfonnes intereffées.

Monfieur Perrault (a) avoit reproché aux anciens qu'ils ne connoiffoient point ce que nous appellons galanterie, &` qu'on n'en voïoit aucune fleur dans leurs Poëtes, au lieu que les écrits des Poëtes François, foit en vers, foit en profe, ces derniers écrits font les Romans, fe

La) Paralelles des Anciens & des Moder. Tom. 2.

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