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pareil motif que nous-mêmes nous avons fait monter fur notre fcene lorfqu'elle étoit encore groffiere, nos Souverains encore vivans. Les François font vantez de toutes les Nations pour refpecter naturellement leurs Princes: ils font même davantage, ils les aiment. Auffi juge-t-on facilement par le caractere des pieces où les Poëtes François ont introduit leur Souverain même, qu'ils n'ont peché que par groffiereté. Peu de mois après la mort de Henri IV. on réprefenta dans Paris une Tragedie dont le fujet étoit la mort funefte de ce Prince; Louis XIII. qui regnoit alors, faifoit lui-même un perfonnage dans la piece, & de fa loge il pouvoit fe voir réprefenter fur le théatre où le Poëte lui faifoit dire que l'étude l'affommoit qu'un livre lui faifoit mal à la tête, qu'il ne pouvoit guerir qu'au fon du tambour, & plufieurs autres gentilleffes de ce genre dignes d'un fils d'Alaric ou d'Athalaric. Mais la raifon ou bien les reflexions nous ont rendu depuis le peuple de l'Europe le plus délicat & le plus difficile fur toutes les bienféances du théatre. Nos Poëtes ne peuvent fe tromper impunément aujourd'hui fur le choix du tems & du lieu de leurs pieces.

Monfieur Racine foutient dans la Préface de Bajazet, dont la mort tragique étoit un évenement recent quand il le mit au théatre, que l'éloignement des lieux où un évenement eft arrivé peut fuppléer à la diftance des tems, & que nous ne mettons prefque point de difference entre ce qui eft arrivé mille ans avant notre tems & ce qui eft arrivé à mille lieues de notre païs. Je ne fuis point de fon fentiment. On ne trouve perfonne qui ait vêcu mille ans avant lui, mais on rencontre tous les jours des gens qui ont vêcu dans. ce païs éloigné de mille lieuës, & leurs recits nuisent à la veneration qu'on prétend nous donner pour ces hommes devenus des Heros en paflant la mer. D'ailleurs le commerce entre la France & Conftantinople eft fi grand, que nous connoiffons bien mieux les mœurs & les ufages des Turcs par les relations verbales de nos amis qui ont vêcu avec eux, que nous ne connoiffons ceux des Grecs & des Romains fur le recit d'Auteurs morts, & à qui l'on ne fçauroit demander des explications quand ils font obfcurs ou trop fuccincts. Un Poëte tragique ne fçauroit donc violer la notion generale que le monde a fur les mœurs

& fur les coûtumes des Nations étrangeres, fans préjudicier à la vrai-femblance de fa piece. Cependant les regles de notre théatre & les ufages de notre fcene tragique, qui veulent que les femmes aïent toujours beaucoup de part dans l'intrigue, & que l'amour y foit traité fuivant nos manieres, empêchent que nous ne puiffions nous conformer aux mœurs & aux coûtumes des Nations étrangeres. Il eft vrai que les défauts qui refultent de cet embarras ne font remarquez que par un petit nombre de perfonnes aflez inftruites pour les connoître; mais il arrive que, pour faire valoir leur érudition, elles exagerent fouvent l'importance des défauts, & il ne fe trouve que trop de gens qui fe plaifent à repeter leur critique. Je n'ajouterai plus qu'un mot à cette obfervation c'eft qu'à l'exception de Bajazer, & du Comte d'Effex, toutes less Tragedies écrites depuis foixante ans, dont le fujet étoit pris dans l'hiftoire des deux derniers fiecles, font tombées leurs noms mêmes font oubliez.

La définition qu'Ariftore fait de la Comedie, quand il l'appelle une imitarion du ridicule des hommes, enfeigne fuffifaminent quel's fujets lui font pro Guj

pres. Comme elle n'inflige pas d'autre peine aux perfonnages vicieux que le ridicule, elle n'eft pas faite pour réprefenter les actions qui meritent des châtimens plus graves. On ne doit traduire à fon tribunal que des hommes coupables envers la focieté de délits legers.

SECTION XXI.

Du choix des fujets des Comedies. Où il en faut mettre la Scene. Des Comedies Romaines.

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'Ai rapporté plufieurs raisons pour montrer que les Poëtes tragiques doivent placer leur fcene dans des tems éloignez de nous. Des raifons oppofées me font croire qu'il faut mettre la fcene des Comedies dans les lieux & dans les tems où elle eft réprefentée: que fon fujet doit être pris entre les évenemens ordinaires, & que fes perfonnages doivent reffembler par toutes fortes d'endroits au Peuple pour qui l'on la compofe. La Comedie n'a pas befoin d'élever fes perfonnages favoris fur des piédeftaux, puifque fon but principal n'eft point de les faire admirer pour les faire plaindre plus facilement : elle veut

tout au plus nous donner quelqu'inquiétude pour eux par les contretems fâcheux qui leur arrivent, & qui doivent être plûtôt des traverfes que de veritables infortunes, afin que nous foïons plus fatisfaits de les voir heureux à la fin de la piece. Elle veut, en nous faifant rire aux dépens des perfonnages ridicules, nous corriger des défauts qu'elle jouë, afin que nous devenions meilleurs pour la focieté. La Comedie ne fçauroit donc rendre le ridicule de fes perfonnages trop fenfible aux Spectateurs. Les Spectateurs, en demêlant fans peine le ridicule des perfonnages, auront encore affez de peine à y reconnoître le ridicule qui peut être en eux.

Or nous ne pouvons pas reconnoître auffi facilement la nature quand elle paroît revêtue de mours, de manieres, d'ufages & d'habits étrangers, que lorfqu'elle eft mife, pour ainfi dire, à notre façon. Les bienféances d'Espagne, par exemple, ne nous étant pas auffi connuës que celles de France, nous ne fommes pas choquez du ridicule de celui qui les bleffe, comme nous le ferions fice perfonnage bleffoit les bienféances en ufage dans notre patrie & dans notre tems. Nous ne ferions pas auffi frappez

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