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de leurs avantures; mais il n'en eft de même des avantures des Eglogues ni de leurs perfonnages. Ces perfonnages, qui ne doivent point être expofez à de grands dangers, ni tomber dans des malheurs veritablement tragiques & capables par leur nature de nous émouvoir beaucoup, veulent, fuivant mon fentiment, être copiez d'après ce que nous yoïons dans notre païs. La fcene des Eglogues, ainfi que celle des Comedies, doit être placée dans nos campagnes, & leur fujet doit être une imitation des évenemens qui peuvent y arriver.

Il eft vrai que nos bergers & nos païfans font fi groffiers, qu'on ne fçauroit peindre d'après eux les perfonnages des Eglogues; mais nos païfans ne font pas les feuls qui puiffent emprunter des agrémens de la campagne les figures de leurs difcours. Un jeune Prince qui s'égare à la chaffe, & qui feul, ou bien avec un confident, parle de fa paffion, & qui emprunte fes images & fes comparaifons des beautez ruftiques, eft un excellent perfonnage pour une Idille. La fiction ne fe foutient que par fa vrai-femblance, & la vrai-femblance ne fçauroit fubfifter dans un

Ouvrage où l'on n'introduit que des perfonnages dont le caractere eft entierement oppofé au naturel que nous avons toujours devant les yeux. Ainfi je ne fçaurois approuver ces porte-houlettes doucereux qui difent tant de chofes merveilleufes en tendreffe & fublimes en fadeur dans quelques-unes de nos Eglogues. Ces prétendus pafteurs ne font point copiez, ni même imitez d'après nature, mais ils font des êtres chimeriques inventez à plaifir par des Poëtes qui ne confulterent jamais que leur imagination pour les forger. Ils ne reffemblent en rien aux habitans de nos campagnes & à nos bergers d'aujourd'hui: malheureux païfans, occupez uniquement à fe procurer par les travaux penibles d'une vie laborieufe de quoi fubvenir aux befoins les plus preffans d'une famille toujours indigente? L'âpreté du climat fous lequel nous vivons les rend groffiers, & les injures de ce climat multiplient encore leurs befoins. Ainfi les bergers langoureux de nos Eglogues ne font point d'après nature; leur genre de vie dans lequel ils font entrer les plaifirs les plus delicats entremêlez des foins de la vie champêtre, & fur tout de l'attention

à bien faire paître leur cher troupeau, n'eft pas le genre de vie d'aucun de nos concitoïens.

Ce n'eft point avec de pareils phantômes que Virgile & les autres Poëtes de l'antiquité ont peuplé leurs aimables païfages; ils n'ont fait qu'introduire dans leurs Eglogues les bergers & les païfans de leur païs & de leur tems un peu annoblis. Les bergers & les pafteurs d'alors étoient libres de ces foins qui devorent les nôtres. La plupart de ces habitans de la campagne étoient des efclaves que leurs maîtres avoient autant d'attention à bien nourrir, qu'un Laboureur en a du moins pour bien nourrir fes chevaux. Le foin des enfans de ces elclaves regardoit leur maître dont ils faifoient la richefle. D'autres enfin étoient chargez de l'embarras de pourvoir aux neceffitez de ces bergers. Auffi tranquilles donc fur leur fubfiftance que le Religieux d'une riche Abbaïe, ils avoient la liberté d'efprit neceffaire pour fe livrer aux goûts que la douceur du climat dans les contrées qu'ils habitoient faifoit naître en eux. L'air vif & prefque toujours ferain de ces regions fubtilifoit leur fang, & les difpofoit à la Mufique, à la Poëfie & aux plaifirs les

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moins groffiers. Beaucoup d'entre eux étoient encore nez ou élevez dans les maifons que leur maître avoit dans les villes, & ce maître ne leur avoit pas plaint une éducation qui tournoit toujours à fon profit, foit qu'il voulut vendre ou garder ces efclaves. Aujourd'hui même, quoique l'état politique de ces contrées n'y laiffe point les ha bitans de la campagne dans la même aifance où ils étoient autrefois; quoiqu'ils n'y reçoivent plus la même édu cation, on les voit encore néanmoins fenfibles à des plaifirs fort au-deffus de la portée de nos païfans. C'eft avec la guitare fur le dos que les païfans d'une partie de l'Italie gardent leurs troupeaux & qu'ils vont travailler à la terre: ils fçavent encore chanter leurs amours dans des vers qu'ils compofent fur le champ, & qu'ils accompagnent du fon de leurs inftrumens. Ils les touchent, finon avec delicateffe, du moins avec aflez de jufteffe; c'est ce qui s'appelle improvifer. Vida Evêque d'Alba dans le feiziéme fiecle, & Poëte fi connu par l'élegance de fes vers latins, nous dépeint les païfans fes compatriotes & fes contemporains tels à peu près que ceux fur lefquels il dit que Virgile avoit moulé

les perfonnages de fes Eglogues.

Quin etiam agricolas ea fandi nota voluptas Exercet, dum lata feges, dum trudere gemmas Incipiunt vites, fitientiaque atheris imbrem Prata bibunt, ridentque fatis turgentibus agri. (a)

Quoique nos païfans foïent infiniment plus groffiers que ceux de la Sicile & d'une partie du roïaume de Naples; quoiqu'ils ne connoiffent ni vers, ni guitare, nos Poëtes font néanmoins de leurs bergers des chantres plus fçavans & plus délicats, ils en font des perfonnages bien plus fubtils en tendreffe que ceux de Gallus & de Virgile. Nos galans porte-houlettes font paîtris de métaphifique amoureufe; ils ne parlent d'autre chofe, & les moins délicats fe montrent capables de faire. un commentaire fur l'Art qu'Ovide profeffoit à Rome fous Augufte. Plufieurs de nos chansons faites il y a foixante ans, & quand le goût dont je parle ici regnoit avec plus d'empire, font infectées des mêmes niaiferies. S'il en eft quelques-unes où la paffion parle toute pure, & dont les Auteurs n'invoquerent Apollon que pour trouver la rime, com(a) Poet. lib. 3.

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