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dans l'imagination des Peintres ce feu qui merite qu'on les traite quelquefois d'Ouvriers divins, pour les reduire aux fonctions d'un Annalifte fcrupuleux? Je réponds que l'enthoufiafime qui fait les Peintres & les Poëtes ne confifte pas dans l'invention des mysteres allegoriques, mais bien dans le talent d'enrichir fes compofitions par tous les ornemens que la vrai-femblance du fujet peut permettre, ainfi qu'à donner de la vie à tous fes perfonnages par l'expreffion des paffions. Telle eft la Poëfie de Raphael; telle est la Poëfie du Pouffin & de le Sueur, & telle fut fouvent celle de Monfieur le Brun & de Rubens.

Il n'eft pas neceffaire d'inventer font fujet ni de créer fes perfonnages, pour être reputé un Poëte plein de verve. On merite le nom de Poëte en rendant l'action qu'on traite capable d'émouvoir, ce qui fe fait en imaginant quels fentimens conviennent à des perfonnages fuppofez dans une certaine fituation, & en tirant de fon genie les traits les plus propres à bien exprimer ces fentimens. Voilà ce qui diftingue le Poëte d'un hiftorien qui ne doit point orner fes recits de circonftances tirées de fon imagination, qui n'invente pas des fi

tuations pour rendre les évenemens qu'il narre plus intereffans, & à qui même il eft rarement permis d'exercer fon genie en lui faifant produire des fentimens convenables à fes perfonnages pour les leur prêter. Les difcours que le grand Corneille fait tenir à Cefar dans la mort de Pompée font une meilleure preuve de l'abondance de fa veine & de la fublimité de fon imagination, que l'invention des allegories du Prologue de la Toifon d'or.

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Il faut avoir une imagination plus féconde, & plus jufte, pour imaginer & pour rencontrer les traits dont la nature fe fert dans l'expreffion des paffions que pour inventer des figures blêmatiques. On produit tant qu'on veut de ces fymboles par le fecours de deux ou trois livres qui font des fources intariffables de pareils colifichets, au lieu qu'il faut avoir une imagination fertile & qui, foit guidée encore par une intelligence fage & judicieufe, pour réuflir dans l'expreffion des paffions & pour y peindre avec verité leurs fumptomes.

Mais, diront les Partifans de l'efprit ne doit-il pas y avoir plus de merite à inventer des chofes qui ne furent jamais penfées, qu'à copier la nature, ainfi que

fait votre Peintre, qui excelle dans l'expreffion des paffions? Je leur réponds qu'il faut fçavoir faire quelque chofe de plus que copier fervilement la nature, ce qui eft déja beaucoup, pour donner à chaque paffion fon caractere convenable, & pour bien exprimer les fentimens de tous les perfonnages d'un tableau. II faut, pour ainfi dire, fçavoir copier la nature fans la voir. Il faut pouvoir imaginer avec jufteffe quels font fes mouvemens dans des circonftances où l'on ne la vit jamais. Eft-ce avoir la nature devant les yeux que de deffiner d'après un modele tranquille, lorfqu'il s'agit de peindre une tête où l'on découvre l'amour à travers la fureur de la jalousie. On voit bien une partie de la nature dans fon modele, mais on n'y voit pas ce qu'il y a de plus important par rapport au fujet qu'on peint. On voit bien le fujet que la paffion doit animer, mais on ne le voit point dans l'état où la paffion doit le mettre, & c'eft dans cet état qu'il le faut peindre. Il faut que le Peintre applique encore à la tête qu'il fait ce que les livres difent en general de l'effet des paffions fur le vifage, & des traits aufquels elles y font marquées. Toutes les expreffions doivent tenir du

caractere de tête qu'on donne au per fonnage qu'on réprefente agité d'une certaine paffion. Il faut donc que l'imagination de l'ouvrier fupplée à tour ee qu'il y a de plus difficile à faire dans l'expreffion, à moins qu'il n'ait dans fon attelier un modele encore plus grand Comedien que Baron.

SECTION XXV.

Des perfonnages & des actions allegoriques, par rapport à la Poësie.

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Arlons préfentement de l'ufage qu'on peut faire en Poëfie des perfonnages & des actions allegoriques. Les perfonnages allegoriques que la Poëfie emploie font de deux efpeces. Il en eft de parfaits & d'autres que nous appellerons imparfaits.

Les perfonnages allegoriques parfaits font ceux que la Poëfie créé entierement, aufquels elle donne un corps & une ame, & qu'elle rend capables de toutes les actions & de tous les fentimens des hommes. C'est ainsi que les Poëtes ont perfonifié dans leurs vers la Victoire, la Sageffe, la Gloire, en un mot tout ce que

nous avons dit que les Peintres avoient perfonifié dans leurs tableaux.

Les perfonnages allegoriques impar, faits font les Etres qui exiftent déja réellement, aufquels la Poëfie donne la faculté de penser & de parler qu'ils n'ont pas, mais fans leur prêter une exiftence parfaite & fans leur donner un être tel que le nôtre. Ainfi la Poëfie fait des perfonnages allegoriques imparfaits, quand elle prête des fentimens aux bois, aux fleuves, en un mot quand elle fait penfer & parler tous les Etres inanimez, ou quand élevant les animaux au-deffus de leur Sphere, elle leur prête plus de raifon qu'ils n'en ont, & la voix articulée qui leur manque. Ces derniers fonnages allegoriques font le plus grand ornement de la Poëfie, qui n'eft jamais fi pompeule que lorfqu'elle anime & qu'elle fait parler toute la nature. C'eft en quoi confifte le fublime du Pfeaume: Inexitu Ifrael de Egypto, & de quelques autres dont les perfonnes de goût font auffi touchées que des plus beaux endroits de l'Iliade & de l'Eneïde. Mais ces perfonnages imparfaits ne font point. propres à jouer un rolle dans l'action. d'un Poëme, à moins que cette action ne foit celle d'un Apologue. Ils peuvent

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