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roient d'abord le Poëte qui auroit un genie propre à les traiter. Voilà pourquoi le fujet d'Andromaque qui n'avoit point frappé Corneille frappa Racine dès qu'il commença d'être un grand Poëte. Le fujet d'Iphigenie en Tauride qui n'a point frappé Racine frappera de même un jeune Auteur. On peut dire des fujets de Tragedie ce que l'Esope Latin dit des Fables. (a)

Materia tanta abundat copia,
Labori faber ut defit, non fabro labor.

Ileft vrai, me dira-t-on, que les fujets ne fçauroient manquer aux Poëtes tragi ques, qui peuvent faire entrer dans une action des perfonnages aufquels ils donnent des caracteres faits à plaifir, & qui peuvent encore orner leur fable par des incidens extraordinaires inventez à leur gré. Il fuffit aux Poëtes tragiques de faire de belles têtes, & ils peuvent pour les rendre plus admirables s'écarter à un certain point des proportions que nature obferve ordinairement. Mais il faut que le Poëte comique faffe des por traits où nous reconnoiffions les hommes avec qui nous vivons. Nous nous mocquons des caracteres qu'il donne à (a) Lib. 4. fab. 25.

la

fes perfonnages, fi nous ne reconnoilfons pas ces caracteres pour être dans la nature, & Moliere, & quelques-uns de fes fucceffeurs fe font faifis de tous les caracteres vrais & naturels. Le Poëte tragique peut bien inventer de nouveaux caracteres, mais le Poëte comique ne peut que copier les caracteres des hommes. Les fujets de Comedie font épuifez.

à

Je réponds que Moliere & fes imitateurs n'ont pas mis fur la fcene la quatrième partie des caracteres propres à faire le fujet d'une Comedie. Il en eft de l'efprit & du caractere des hommes peu près comme de leur vifage. Le vifage des hommes eft toujours composé des mêmes parties, de deux yeux, d'une bouche, & cependant tous les vifages font differens, parce qu'ils font compofez differemment. Or les caracteres des hommes font non-feulement compofez differemment, mais ce ne font pas toujours les mêmes parties, je veux dire les mêmes vices, les mêmes vertus, & les mêmes lumieres qui entrent dans la compofition de leur caractere. Ainfi les caracteres des hommes doivent être encore plus variez, plus differens que les vifages des hommes.

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Qui dit un caractere, dit un mêlange, dir un compofé de plufieurs défauts& de plufieurs vertus, dans lequel mêlange certain vice domine fi le caractere eft vicieux; c'est une vettu laquelle domine fi le caractere doit être verrueux. Ainfi les differens caracteres des hommes font tellement variez par ce mêlange de défauts, de vices, de vertus & de lumieres diverfement combiné, que deux caracteres parfaitement femblables font encore plus rares dans la nature que deux vifages entierement femblables.

Or tout caractere bien peint fait un bon perfonnage de Comedie. 11 peur jouer avec fuccès un rolle fur la fcene veritablement plus ou moins long, & plus ou moins important. Pourquoi l'amour fera-t-il une paffion privilegiée, & la feule qui fourniffe des caracteres differens, à l'aide de la diverfité que Pâge, le fexe & la profeffion mettent entre les fentimens des amoureux? Le caractere d'un avare ne peut-il pas de même être varié par l'âge, par le fexe, par d'autres paffions & par la profeffion? Ces caracteres bien peints n'ennuieroient point, parce qu'ils font dans la nature, & la peinture naïve de la

nature plaît toujours. C'est donc parce que les faifeurs de Comedie n'ont pas les yeux affez bons pour bien lire dans la nature, pour y demêler diftinctement les differens principes des mêmes actions, & pour y voir comment les mêmes principes font agir differemmentchaque individu, qu'ils ne fçauroient plus mettre au Théatre de nouveaux caracteres. Il s'en faut bien que tous les ridicules du genre humain ne foient encore réduits en Comedie.

Mais quels font, me dira-t-on, les caracteres neufs qui n'ont point encore été traitez. Je répons que j'entreprendrois d'en indiquer quelques uns, fi j'avois un genie approchant de celui de Terence ou de Moliere, mais je fuis de ceux dont Defpreaux a parlé dans

ces Vers.

La nature féconde en bizarres portraits Dans chaque Ame eft marquée à de differens traits,

Un gefte la découvre, un rien la fait paroître, Mais tout mortel n'a pas des yeux pour la connoître.

Pour demêler ce qui peut former un caractere, il faut être capable de difcerner entre vingt ou trente chofes que

dit, ou que fait un homme, trois ou quatre traits qui font propres fpecialement à fon caractere particulier. It faut ramaffer ces traits, & continuant d'étudier fon modele, extraire, pour parler ainfi, de fes actions & de fes difcours les traits les plus propres à faire reconnoître le portrait. Ce font ces traits qui feparez des chofes indifferentes que tous les hommes difent & font à peu près les uns comme les autres, qui, rapprochez, & réunis enfemble, forment un caractere, & lui donnent, pour ainfi dire, fa rondeur théatrale. Tous les hommes paroiffent uniformes aux efprits bornez. Les hommes paroiffent differens les uns des autres aux efprits plus étendus; mais les hommes font tous des originaux particuliers pour le Poëte né avec le genie de la Comedie.

Tous les portraits des Peintres mediocres font placez dans la même attitu de. Ils ont tous le même air, parce que ces Peintres n'ont pas les yeux affez bons pour difcerner l'air naturel qui eft different dans chaque perfonne, & pour le donner à chaque perfonne dans fon portrait. Mais le Peintre habile feait donner à chacun dans fon portrait l'air & l'attitude qui lui font propres en verti

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