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par la nobleffe ou par la convenance du fentiment, foit par la précision de la penfée, foit par la jufteffe de l'expreffion, paroiffent plats. Tout le monde dit-on, auroit penfé cela. D'un autre côté les fentimens trop merveilleux paroiffent faux & outrez. Le fentiment que du Rier prête à Scevola, dans la Tragedie qui porte ce nom, quand il lui fait dire en parlant du Peuple Romain que Porfenna, auquel il parle,

vouloit affamer:

Se nourrira d'un bras & combattra de l'autre,

Devient auffi comique par l'exagera tion qu'il renferme, qu'aucun trait de l'Ariofte.

Il ne me paroît donc pas poffible d'en feigner l'art de concilier le vrai-femblable & le merveilleux. Cet art n'eft qu'à la portée de ceux qui font nez Poëtes, & grands Poëtes. C'est à eux qu'il eft refervé de faire une alliance du merveilleux & du vrai-femblable, où l'un & l'autre ne perdent pas leurs droits. Le talent de faire une telle alliance eft ce qui diftingue éminemment les Poëtes de la claffe de Virgile des verfificateurs fans invention, & des Poëtes extravagans, Voilà ce qui diftingue ces Poëtes illuftres

des Auteurs plats, & des faifeurs de Romans de Chevalerie, tels que font les Amadis. Ces derniers ne manquent pas certainement de merveilleux. Au contraire ils en font remplis ; mais leurs. fictions fans vrai-femblance, & les évenemens trop prodig eux, dégoutent les Lecteurs dont le jugement eft formé, & qui connoiflent les Auteurs judi

cieux

> un

Un Poëme qui peche contre la vraifemblance eft d'autant plus vicieux que fon défaut eft fenfible à tout le monde. Nous avons une Tragedie de M. Quinault, intitulée le faux Tiberinus, oùle Poëte fuppofe que Tiberinus Roi d'Albe étant mort dans une expedition de fes Generaux, afin d'empêcher le découragement des troupes, dérobe à leur connoiffance la mort du Roi. Pour mieux cacher l'accident, il fait foutenir à fon propre fils le perfonnage du Roi Tiberinus, à la faveur d'une reffemblance parfaite qui fe trouvoit entre le Roi & Agrippa. C'eft le nom de ce fils qui paffe pour Tiberinus. Son pere fuppofe encore, pour mieux cimenter l'impofture, que le Roi mort a fait tuer fecretement Agrippa. Tout le Roïaume d'Albe s'y méprend un an durant,

& le dénouement de la piece, laquelle fournit d'Acte en Acte des fituations. merveilleuses, eft encore très-interellant. Cependant on ne compta jamais cette Tragedie parmi celles qui font l'honneur de notre Théatre. Elle ne touche que par furprife, & l'on defavouë fon émotion propre dès qu'on fait reflexion à l'extravagance de la fuppofition fur laquelle toutes les fituations merveilleufes de la Tragedie font fondées. On n'a prefque point de plaifir à revoir une piece qui fuppofe que la reffemblance du Roi Tiberinus & d'Agrippa fut absolument fi parfaite, même du côté de l'efprit, que l'amante d'Agrippa après avoir eu de longues converfations avec lui, continue à le prendre pour Tiberi

nus.

J'avouerai cependant qu'un Poëme fans merveilleux me déplairoit encore plus qu'un Poëme fondé fur une fuppofition fans vrai-femblance. En cela je fuis de l'avis de M. Defpreaux, qui prefere le Voïage du monde de la Lune de Cyrano aux Poëmes fans invention de Motin & de Cotin.

Comme rien ne détruit plus la vrai femblance d'un fait que la connoiffance certaine que peut avoir le Spectateur que

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le fait eft arrivé autrement que le Poëte ne le raconte: je crois que les Poëtes qui contredifent dans leurs ouvrages des faits hiftoriques très - connus, nuisent beaucoup à la vrai-femblance de leurs fictions. Je fçais bien que le faux eft quelquefois plus vrai-femblable que le vrai. Mais nous ne reglons pas notre croïance touchant les faits fur leur vraifemblance métaphyfique, ou fur le pied de leur poffibilité : c'eft fur la vrai-femblance hiftorique. Nous n'examinons pas ce qui devoit arriver plus probablement, mais ce que les témoins neceffaires, ce

que

les Hiftoriens racontent; & c'eft leur recit & non pas la vrai-semblance qui détermine notre croïance. Ainfi nous ne croïons pas l'évenement qui eft le plus vrai-femblable & le plus poffible, mais celui qu'ils nous disent être veritas blement arrivé. Leur dépofition étant la regle de notre croïance fur les faits, ce qui peut être contraire à leur dépofition ne fçauroit paroître vrai-femblable. Or comme la verité eft l'ame de l'hiftoire, la vrai-femblance eft l'ame de la poëlic,

SECTION XXIX.

Siles Poëtes Tragiques font obligez de fe conformer à ce que la Geographie, l'Hiftoire & la Chronologie nous apprennent pofiti

vement.

Remarques à ce sujet fur quelques Tragedies de Corneille & de R4

J

cine.

E crois donc qu'un Poëte Tragique va contre fon art, quand il peche trop groffierement contre l'Hiftoire, la Chronologie, & la Geographie, en avançant des faits qui font démentis par ces Sciences. Plus le contraire de ce qu'il avance eft notoire, plus fon erreur devient nuisible à son ouvrage. Le public ne pardonne gueres de pareilles fautes, quand il les connoît, & jamais il ne les excufe fi pleinement qu'il n'en eftime un peu moins l'ouvrage.

Un Poëte ne doit donc pas faire fauver la vie à Tomiris par Cyrus, ni faire tuer Brutus par Cefar. Je crois encore qu'il doit à la fable univerfellement établie le même refpect qu'à l'Hiftoire. Ce

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