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gination, & c'eft en travaillant pour cela qu'ils ont trouvé le moïen d'exciter dans notre cœur des paffions artificielles. C'est par hazard que les inventions les plus utiles à la focieté ont été trouvées. Quoi qu'il en foit, ces phantômes de paffions que la Poëfie & la Peinture fçavent exciter en nous émouvant par les imitations qu'elles nous préfentent, fatisfont au befoin où nous fommes d'être occupez.

Les Peintres & les Poëtes excitent en nous ces paffions artificielles, en nous préfentant les imitations des objets capables d'exciter en nous des paffions veritables. Comme l'impreffion que ces imitations font fur nous eft du même genre que l'impreffion que l'objet imité par le Peintre ou par le Poëte feroit fur nous comme l'impreffion que l'imitation fait n'eft differente de l'impreffion que l'objet imité feroit, qu'en ce qu'elle eft moins forte, elle doit exciter dans notre ame une paffion qui reffemble à celle que l'objet imité y auroit pu exciter. La copie de l'objet doit, pour ainfi dire, exciter en nous une copie de la paffion que l'objet y auroit excitée. Mais comme l'impreffion que l'imitation fait n'est pas auffi profonde que l'impres

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Gion que l'objet même auroit faite ; com-
me l'impreffion faite par l'imitation n'eft
pas ferieufe, d'autant qu'elle ne va point
jufqu'à l'ame pour laquelle il n'y a pas
d'illufion dans ces fenfations, ainfi que
nous l'expliquerons tantôt plus au long;
enfin comme l'impreffion faite
par l'i
mitation n'affecte que l'ame fenfitive,
elle s'efface bientôt. Cette impreffion
fuperficielle faite par une imitation, dif-
paroît fans avoir des fuites durables,
comme en auroit une impreffion faite
par l'objet même que le Peintre ou le
Poëte ont imité.

On conçoit facilement la raison de la difference qui fe trouve entre l'impreffion faite par l'objet même & l'impreffion faite par l'imitation. L'imitation la plus parfaite n'a qu'un être artificiel, elle n'a qu'une vie empruntée, au lieu que la force & l'activité de la nature fe trouve dans l'objet imité. C'eft en vertu du pouvoir qu'il tient de la nature même que l'objet réel agit fur nous. Namque iis que in exemplum affumimus fubeft natura & vera vis, contrà omnis imitatio fita, dit Quintilien. (a)

Voilà d'où procede le plaifir que la

Poëfie & la Peinture font à tous les hom(a) Inftit. lib. 10. cap. 2.

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mes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement les peintures dont le merite confifte à mettre fous nos yeux des avantures fi funeftes, qu'elles nous auroient fait horreur fi nous les avions vûës veritablement, car comme le dit Ariftote dans fa poëtique: (a) Des monftres & des hommes morts ou mourants que nous n'oferions regarder on que nous ne verrions qu'avec horreur, nous les voïons avec plaifir imitez, dans les ouvrages Peintres, Mieux ils font imitez, plus nous les regardons avidement. Il en eft de même des imitations que fait la Poëfie.

des

Le plaifir qu'on fent à voir les imitations que les Peintres & les Poëtes fçavent faire des objets qui auroient excité en nous des paffions dont la réalité nous auroit été à charge, eft un plaipur. Il n'eft pas fuivi des inconveniens dont les émotions ferieufes qui auroient été causées par l'objet même, feroient accompagnées.

fir

Des exemples éclairciront encorę mieux que des raifonnemens une opinion que je puis craindre de n'exposer jamais affez diftinctement, Le malfacre des Innocens a dû laiffer des idées bien funeftes dans l'imagination de ceux qui (4) Срар. 4.

virent réellement les foldats effrenez égorger les enfans dans le fein des metes fanglantes. Le tableau de le Brun où nous voïons l'imitation de cet évenement tragique, nous émeut & nous attendrit, mais il ne laiffe point dans notre efprit aucune idée importune: ce tableau excite notre compaffion, fans nous affliger réellement. Üne mort telle que la mort de Phédre: une jeune Princeffe expirante avec des convulfions affreufes, en s'accufant elle-même des crimes atroces dont elle s'eft punie pat le poifon, feroit un objet à fair. Nous ferions plufieurs jours avant que de pouvoir nous diftraire des idées noires & funeftes qu'un pareil fpectacle ne manqueroit pas d'empreindre dans notre imagination. La tragedie de Racine qui nous préfente l'imitation de cet évenement, nous émeut & nous touche fans laiffer en nous la femence d'une trifteffe durable. Nous joüiffons de notre émotion fans être allarmez par la crainte qu'elle dure trop long-tems. C'eft, fans nous attrifter réellement, que la piece de Racine fait couler des larmes de nos yeux : l'affliction n'eft, pour ainfi dire, que fur la fuperficie de notre cœur, & nous fentons bien que nos pleurs fini

ront avec la répresentation de la fiction ingenieufe qui les fait couler.

Nous écoutons donc avec plaifir les hommes les plus malheureux quand ils nous entretiennent de leurs infortunes par le moïen du pinceau d'un Peintre ou dans les vers d'un Poëte; mais, comme le remarque Diogene Laerce, nous ne les écouterions qu'avec repugnance s'ils déploroient eux-mêmes leurs malheurs devant nous. Itaque eos qui lamentationes imitantur libenter, qui autem verè lamentantur hos fine voluptate audimus, dit la Verfion latine. (a) Le Peintre & le Poëte ne nous affligent qu'autant que nous le voulons, ils ne nous font aimer leurs Heros & leurs Heroïnes qu'autant qu'il nous plaît, au lieu que nous ne ferions pas les maîtres de la mesure de nos fentimens; nous ne ferions pas les maîtres de leur vivacité comme de leur durée, fi nous avions été frappez par les objets mêmes que ces habiles Artifans ont imitez.

Il eft vrai que les jeunes gens qui s'adonnent à la lecture des Romans, dont l'attrait confifte dans des imitations poëtiques, font fujets à être tourmentez par des afflictions & par des de(4) In Ariftippo.

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