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ment dans une paffion tragique. Nous avons déja dit que les Eglogues empruntoient leurs peintures & leurs images des objets qui parent la campagne & des évenemens de la vie ruftique. La Poëfie du ftile de la Satire doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bile. L'Ode monte dans les Cieux, pour y emprunter fes images & fes comparaifons duTonnerre, des Aftres & des Dicux mêmes. Mais ce font des chofes dont l'experience a déja inftruit tous ceux qui aiment la Poëfie.

Il faut donc que nous croïions voir. pour ainfi dire, en écoutant des Vers :: Ut Pictura Poefis, dit Horace. Cleopatre s'attireroit moins d'attention, fi le Poëte lui faifoit dire en ftile profaïque aux Miniftres odieux de fon frere: Aïez peur, méchans: Cefar qui eft jufte va venir la force à la main: Il arrive avec des troupes. Sa penfée a bien une autre éclat elle paroît bien plus relevée, lorfqu'elle eft revêtue de figures poëtiques, & lorfqu'elle met entre les mains de Cefar l'inftrument de la vengeance de Jupiter. (a) Ce vers:

Tremblez, méchans, tremblez: voici venir la foudre.

(a) Mort de Pompée..

me préfente Cefar armé du tonnerre, & les meurtriers de Pompée foudroïez. Dire fimplement qu'il n'y a pas un grand merite à fe faire aimer d'un homme qui devient amoureux facilement; mais qu'il eft beau de fe faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de disposition à l'amour, ce feroit dire une verité commune & qui ne s'attireroit pas beaucoup d'attention. Quand Monfieur Racine met dans la bouche d'Aricie cette verité, revêtue des beautez que lui prête la Poëfie de fon ftile: elle nous charme. Nous fommes féduits par les images dont le poëte fe fert pour l'exprimer; & la penfée de triviale qu'elle feroit énoncée en ftile profaïque devient dans fes Vers un difcours éloquent qui nous frapque nous retenons. (a)

pe

&

Pour moi, je fuis plus fiere & fais la gloire aifée

D'arracher un hommage à mille autres offert,
Et d'entrer dans un coeur de toutes parts ouvert
Mais de faire fléchir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une ame infenfible,
D'enchaîner un captif de fes fers étonné,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné
Voilà ce qui me plaît, voilà ce qui m'irrite
(4) Phedre A&. II.

Ces vers tracent cinq tableaux dans l'imagination.

Un homme qui nous diroit fimplement: Je mourrai dans le même château où je fuis né, ne toucheroit pas beaucoup. Mourir eft la deftinée de tous les hommes, & finir dans le fein de fes Pénates, c'eft la deftinée des plus heureux. L'Abbé de Chaulieu nous préfente cependant cette penfée fous des images qui la rendent capable de toucher infini

ment.

Fontenay, lieu délicieux

Où je vis d'abord la lumiere,
Bientôt au bout de ma carriere

Chez toi je joindrai mes Ayeux:

Mufes, qui dans ce lieu champêtre

Avec foin me fìtes nourrir,

Beaux arbres qui m'avez vû naître
Bientôt vous me verrez mourir,

Ces apoftrophes me font voir le poëte en converfation avec les Divinitez & avec les arbres de ce lieu. Je m'imagine qu'ils font attendris par la nouvelle qu'il leur annonce, & le fentiment qu'il leur prête fait naître dans mon cœur un fentiment approchant du leur.

L'art d'émouvoir les hommes & de les amener où l'on veut, confifte prin

cipalement à fçavoir faire un bon ufage de ces images. L'Ecrivain le plus auftere, celui qui fait la profeffion la plus ferieuse de ne mettre en œuvre pour nous perfuader que la raifon toute nuë, fent bientôt que pour nous convaincre il nous faut émouvoir, & qu'il faut pour nous émouvoir mettre fous nos yeux par des peintures les objets dont il nous parle. Un des plus grands partisans du raisonnement fevere que nous aïons eu, le Pere Mallebranche, a écrit contre la contagion des imaginations fortes, dont le charme pour nous féduire consiste dans leur fécondité en images, & dans le talent qu'elles ont de peindre vivement les objets. (a) Mais qu'on ne s'attende point à voir dans fon difcours une précifion féche qui écarte toutes les figures capables de nous émouvoir & de nous féduire, ni qui se borne aux raifons concluantes. Ce difcours eft rempli d'images & de peintures, & c'est à notre imagination qu'il parle contre l'abus de l'imagination.

La Poëfie du ftile fait la plus grande difference qui foit entre les vers & la profe. Bien des métaphores qui pafferoient pour des figures trop hardies dans

(a) Recherche de la Verité. Liv. 2. part. 3.

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genres

le ftile oratoire le plus élevé, font reçues en Poëfie. Les images & les figures doivent être encore plus frequentes dans la plupart des de la Poëfie que dans les difcours oratoires. La Rhetorique qui veut perfuader notre railon, doit toujours conferver un air de moderation & de fincerité. Il n'en eft pas de même de la Poëfie qui fonge à nous émouvoir préferablement à toutes chofes, & qui tombera d'accord, fi l'on veut, qu'elle eft fouvent de mauvaise foi. C'est donc la Poëfie du ftile qui fait le poëte plûtôt que la rime & la céfure. Suivant Horace on peut être poëte en un difcours en profe & l'on n'eft fouvent que profateur dans un diycours écrit en vers. Quintilien explique fi bien la nature & l'ufage des images & des figures dans les derniers Chapitres de fon huitiéme livre, & dans les premiers Chapitres du livre fuivant, qu'il ne laiffe rien à faire que d'admirer fa penetration & fon grand fens.

Cette partie de la Poëfie la plus importante eft en même tems la plus difficile. C'eft pour inventer des images qui peignent bien ce que le poëte veut dire, c'eft pour trouver les expreffions propres à leur donner l'être, qu'il a

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