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befoin d'un feu divin, & non pas pour rimer. Un poëte mediocre peut à force de confultations & de travail faire un plan regulier, & donner des mœurs décentes à fes perfonnages; mais il n'y a qu'un homme doué du genie de l'art qui puifle foutenir fes vers par des fitions continuelles, & par des images renaiffantes à chaque periode. Un homme fans genie tombe bientôt dans la froideur qui nait des figures qui manquent de jufteffe, & qui ne peignent point nettement leur objet, ou dans le ridicule qui naît des figures lefquelles ne font point convenables au fujet. Telles font, par exemple, les figures que met en œuvre le Carme Auteur du poëme de la Magdelaine, qui forment fouvent des images grotefques, où le poëte ne devroit nous offrir que des images ferieufes. Le confeil d'un ami peut bien nous faire fupprimer quelques figures impropres ou mal imaginées; mais il ne peut nous infpirer le genie neceffaire pour inventer celles dont il conviendroit de fe fervir. Le fecours d'autrui comme nous le dirons en parlant du genie, ne fçauroit faire un poëte. Il peut tout au plus lui aider à fe former.

Un peu de reflexion fur la deftinée

des poëmes François publiez depuis quatre-vingt ans, achevera de nous perfuader que le plus grand merite d'un poëme vient de la convenance & de la continuité des images & des peintures que fes vers nous préfentent. Le caractere de la Poëfie du ftile a toujours decidé du bon ou du mauvais fuccès des poëmes, même de ceux qui par leur étenduë femblent dépendre le plus de l'economie du plan, de la diftribution de l'action & de la décence des mœurs.

Nous avons deux Tragedies du grand Corneille, dont la conduite & la plûpart des caracteres font très défectueux, le Cid & la mort de Pompée. On pourroit même difputer à cette derniere piece le titre de Tragedie. Cependant le public enchanté par la poëfie du ftile de ces ouvrages ne fe laffe point de les admirer, & il les place fort au-deffus de plufieurs autres, dont les mœurs font meilleures, & dont le plan eft regulier. Tous les raifonnemens des critiques ne le perfuaderont jamais qu'il ait tort de prendre pour des ouvrages excellens deux Tragedies, qui depuis quatrevingt ans font toujours pleurer les Spectateurs. Mais, comme le dit le poëte Anglois Auteur de la Tragedie de Ca

ton: Les Vers des Poetes Anglois font fouvent harmonieux & pompeux, avec un fens trivial, ou qui ne confifte qu'en un jeu de mots lequel ne fait point d'image, au lieu que dans les Tragedies des Anciens, ainfi que dans celles de Corneille & de Racine, le vers préfente toujours quelque chofe à l'imagination. Leur Poesie eft encore plus belle par les images que par l'harmonie. Le fens des mots enrichit leur phrafe encore plus que le choix & l'afTemblage melodieux des fons qui la compofent. (a)

La Pucelle de Chapelain & le Clovis de Desmarets font deux poëmes épiques dont la conftitution & les mœurs valent mieux fans comparaison que celles des deux Tragedies dont j'ai parlé. D'ailleurs leurs incidens qui font la plus belle partie de notre hiftoire doivent attacher davantage la Nation Françoise

que

des évenemens arrivez depuis longtems dans l'Espagne & dans l'Egypte. Chacun fçait le fuccès de ces poëmes épiques, qu'on ne fçauroit imputer qu'au défaut de la poëfie du ftile. On n'y trouve prefque point de fentimens naturels capables d'intereffer. Ce défaut leur eft commun. Quant aux images, Def(at Spectat, du 14. Avril 1718.

marets ne craïonne que des chimeres, & Chapelain dans fon ftile Tudefque ne deffine rien que d'imparfait & d'eftropié. Toutes fes peintures font des tableaux Gothiques. De là vient le feul défaut de la Pucelle, mais dont il faut, fuivant M. Defpreaux, que fes défenfeurs conviennent: Qu'on ne la fçauroit

lire.

SECTION

XXXIV.

Du motif qui fait lire les Poëfies: que l'on ne cherche pas l'inftruEtion comme dans d'autres Li

vres.

Es gens du métier font les feuls qui fe faffent une étude de la lecture des Poëtes. On ne les lit plus, nous l'avons déja dit, que pour s'occuper agréablement, dès qu'on eft forti du College, & non pas comme on lit les Hiftoriens & les Philofophes, c'eft àdire pour apprendre. Si l'on peut tirer des inftructions de la lecture d'un poëme, cette inftruction n'eft gueres le motif qui fait ouvrir le livre.

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Nous faifons donc le contraire en

lifant un poëte de ce que nous faifons en lifant un autre livre. En lifant un hiftorien, par exemple, nous regardons fon ftile comme l'acceffoire. L'important c'eft la verité, c'eft la fingularité des faits qu'il nous apprend. En lisant un poëme nous regardons les inftructions que nous y pouvons prendre comme l'acceffoire. L'important c'eft le ftile, parce que c'eft du ftile d'un poëme que dépend le plaifir de fon lecteur. Si la Poëfie du ftile du Roman de Telemaque eut été languiffante, peu de perfonnes auroient achevé la lecture de l'ouvrage, quoiqu'il n'en eut pas été moins rempli d'inftructions profitables. C'eft donc fuivant que la lecture d'un poëme nous plaît que nous le loüons.

On remarquera que je ne parle ici que des perfonnes qui étudient; car celles qui lifent principalement pour s'amufer, & en fecond lieu pour s'inftruire (c'eft l'ufage cependant que les trois quarts du monde font de la lecture) aiment encore mieux les livres d'hiftoire dont le ftile eft intereffant, que les livres d'hiftoire mal écrits, mais pleins d'exa&titude & d'érudition. Bien des perfonnes fuivent même ce goût dans le choix qu'elles font des livres de philofophie,

&

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