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& d'autres Sciences encore plus ferieuses que la philofophie. Qu'on juge file monde ne doit pas trouver que le poëme qui fçait le mieux lui plaire doit être le meilleur.

Les hommes qui ne lifent les poëmes que pour être entretenus agréablement par des fictions, fe livrent donc dans cette lecture au plaifir actuel. Ils fe laiffent aller aux impreffions que fait fur eux l'endroit du poëme qui eft fous leurs yeux. Lors que cet endroit les occupe agréablement, ils ne s'avifent gueres de fufpendre leur plaifir pour faire reflexion, s'il n'y a point de fautes contre les regles. Si nous tombons fur une faute groffiere & fenfible, notre plaisir eft bien interrompu. Nous pouvons bien alors faire des reproches au poëte; mais nous nous reconcilions avec lui dès que ce mauvais endroit du poëme eft paffé, dès que notre plaifir eft recommencé. Le plaifir actuel qui domine les hommes avec tant d'empire qu'il leur fait oublier les maux paffez & qu'il leur cache les maux à venir, peut bien nous faire oublier les fautes d'un poëme qui nous ont choquez davantage, dès qu'elles ne font plus fous nos yeux. Quant à ces fautes relatives, Tome J.

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& qu'on ne démêle qu'en retournant fur fes pas, & en faifant reflexion fur ce qu'on a vû, elles diminuent très peu le plaifir du Lecteur & du Spectateur quand même il lit la piece, ou quand il la voir après avoir été informé de ces fautes. Ceux qui ont lû la Critique du Cid n'en ont pas moins de plaifir à voir cette Tragedie.

En effet l'évenement qu'un poëte tragique aura trop laiffé prévoir en le préparant groffierement, ne laiffera point de nous toucher s'il eft bien traité. Cet évenement nous intereffèra, bien qu'il ne nous furprenne point réellement, Quoique les évenemens de Polieucte & d'Athalie ne furprennent pas veritablement ceux qui ont vu plufieurs fois ces Tragedies, ils ne laiffent pas de les toucher jufques aux larmes. Il femble que l'efprit oublie ce qu'il fçait des évenemens d'une Tragedie dont il connoît parfaitement la fable, afin de mieux jouir du plaifir de la furprife que ces évenemens caufent lorfqu'ils ne font pas attendus. Il faut bien qu'il arrive en nous quelque chofe d'approchant de ce que je dis, car après avoir vû vingt fois la Tragedie de Mithridate, on eft prefqu'auffi frappé d'un retour impre,

vu de ce Prince, quand il eft annoncé à la fin du premier Acte, que fi cet incident de la piece furprenoit veritablement. Notre memoire paroît donc fufpendue au fpectacle, & il femble que nous nous y bornions à ne fçavoir les évenemens que lorfqu'on nous les annonce. On s'interdit d'anticiper fur la Scene, & comme on oublie ce qu'on a vû à d'autres réprefentations, on peut bien oublier ce que l'indifcretion d'un poëte lui a fait reveler avant le tems. L'attrait du plaifir a-t-il tant de peine à étouffer la voix de la raifon.

Enfin fi le charme du coloris eft fi puiffant qu'il nous faffe aimer les tableaux du Baffan, nonobftant les fautes énormes contre l'ordonnance & le deffein, contre la vrai-femblance poëtique & pittorefque dont ils font remplis, fi le charme du coloris nous les fait vanter, bien que ces fautes foient actuellement fous nos yeux lorfque nous les loüons, on peut aifément concevoircomment les charmes de la Poelie du file nous font oublier dans la lecture d'un poeme les fautes que nous y avons apperçues.

Il s'enfuit de mon expofition, que le meilleur poème eft celui dont la le

ature nous interefle davantage, que c'est celui qui nous feduit au point de nous cacher la plus grande partie de fes fautes, & de nous faire oublier volontiers celles mêmes que nous avons vûes & qui nous ont choquez. Or c'est à proportion des charmes de la Poesie du file qu'un poeme nous intereffe. Voilà pourquoi les hommes préfereront toujours les poemes qui touchent, aux poemes reguliers. Voilà pourquoi nous préferons le Cid à rant d'autres Tragedies. Si l'on veut rappeller les chofes à leur veritable principe, c'eft donc par la Poefie du ftile qu'il faut juger d'un poeme, plûtôt que par fa regularité & par la décence des mœurs.

Nos voifins les Italiens ont deux poemes épiques en leur langue, la Jerufa lem délivrée du Taffe, & le Roland furieux de l'Ariofte, qui, comme l'Iliade & l'Eneide, font devenus des livres de la Bibliotheque du Genre humain. On vante le poeme du Taffe pour la décence des mœurs, pour la convenance & pour la dignité des caracteres, pour l'economie du plan, en un mot pour fa regularité. Je ne dirai rien des mœurs, des caracteres, de la décence & du plan du poeme de l'Ariofte, Ho

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mere fut un Géometre auprès de lui, & l'on fait le beau nom que le Cardinal d'Eft donna au ramas informe d'hiftoires mal tiffues enfemble qui compofent le Roland furieux. L'unité d'action y eft fi mal obfervée, qu'on a été obligé dans les Editions pofterieures d'indiquer, par une note mife à côté de l'endroit où le poete interrompt une hiftoire, l'endroit du poeme où il la recommence, afin que le lecteur puiffe fuivre le fil de cette hiftoire. On a rendu en cela un grand fervice au public, car on ne lit pas deux fois l'Ariofte de fuite, & en paffant du premier chant au second, & de celui-là aux autres fucceffivement, mais bien en fuivant independamment de l'ordre des livres les differentes hiftoires qu'il a plûtôt incorporées qu'unies enfemble. Cependant les Italiens, generalement parlant, placent l'Ariofte fort au-deffus du Taffe. L'Academie de la Crufca, après avoir examiné le procès dans les formes, a fait une décifion autentique qui adjuge à l'Ariofte le premier rang entre les poetes épiques Italiens. Le plus zelé défenfeur du Taffe (a) confefle qu'il attaque l'opinion generale, & que tout le

(a) Camillo Pellegrini pag. 11.

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