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trefaifant le bruit que fait la chofe, ou en mettant dans le fon imparfait qu'ils forment, quelque ton qui ait le rapport le plus marqué qu'il foit poffible, avec la chofe qu'ils veulent donner à comprendre fans pouvoir la nommer. C'est ainfi qu'un étranger qui ne fçauroit pas comment le tonnerre s'appelle en François, fuppleroit à ce mot par un fon qui imiteroit autant qu'il feroit poffible le bruit de ce météore. C'eft apparemment ainfi que les anciens Gaulois avoient formé le nom de cocq, dont nous nous fervons aujourd'hui dans la même fignification qu'eux, en imitant dans le fon du mot le fon du bruit que cet oifeau fait par intervalles. C'eft encore ainfi qu'ils ont formé le mot de becq qui fignifioit la même chofe chez

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Ces fons imitatifs auront été mis en ufage principalement quand il aura fallu donner des noms aux foupirs, au rire, aux gemiffemens, & à toutes les expreffions inarticulées de nos fentimens & de nos paffions. Ce n'eft point par conje&ture que nous fçavons que les Grecs en ont ufé ainfi. Quintilien (a) nous dit expreffément qu'ils l'avoient fait & il (a) Inft. lib. 8. cap. 3.

les loue de leur invention. Fingere Gracis magis conceffum eft qui fonis quibusdam & affectibus non dubitaverunt nomina aptare, non alia libertate quàm quâ illi primi homines rebus appellationes dederunt. Or les fons que ces mots imitent se trouvent être des fignes inftituez par la na→ ture même, pour fignifier les paffions & les autres chofes dont ils font les fignes. C'est d'elle-même qu'ils tirent feur fignification & leur énergie. En effet ils font à peu près les mêmes par tout, femblables en cela aux cris des animaux. Du moins fi les fons par lefquels les hommes marquent leur furprife, leur joïe, leur douleur & leurs autres paffions ne font pas entierement les mêmes dans tous les païs, ils y font fi femblables que tous les peuples les entendent. Vt in tanta per omnes gentes nationefque lingue diverfitate, bic mihi omnium hominum communis fermo videatur. (a) C'eft, s'il eft permis d'ufer ici de cette expreffion, une monnoïe frappée au coin de la nature, & qui a cours parmi tout le genre humain.

Il s'enfuit donc que les mots qui dans leur prononciation imitent le bruit qu'-. ils fignifient, ou le bruit que nous fe

(a) Qu. Inft. lib. 11. cap. 2.

rions naturellement pour exprimer la chofe dont ils font un figne inftitué, ou qui ont quelque autre rapport avec la chofe fignifiée, font plus énergiques que les mots qui n'ont d'autre rapport avec la chofe fignifiée que celui que l'ufage y a mis. Un mot qui a naturellement du rapport avec la chose signifiée en reveille l'idée plus vivement. Le figne qui tient de la nature même une partie de fa force & de fa fignification, eft plus puiffant &agit plus efficacement fur nous que le figne qui doit au hazard ou au caprice de l'inftituteur toute fon énergie.

Les langues qu'on appelle langues meres pour n'être pas dérivées d'une autre langue, mais pour avoir été formées du jargon que s'étoient fait quelques hommes dont les cabanes fe trouvoient voifines, doivent contenir un plus grand nombre de ces mots imitatifs que les langues dérivées. Quand les langues dérivées fe forment, le hazard, la condition des organes de ceux qui les compofent, laquelle eft differente fuivant l'air & la temperature de chaque contrée, la maniere dont fe fait le mêlange de la langue qu'ils parloient auparavant avec celle qui entre dans la compofition de la nouvelle langue, enfin le genie

qui préfide à fa naillance, font caufe qu'on altere la prononciation de la plûpart des mots imitatifs. Ils perdent ainfi l'énergie que leur donnoit le rapport naturel de leur fon avec la chole dont ils étoient les fignes inftituez. Voilà d'où vient l'avantage des langues meres fur les langues dérivées. Voilà pourquoi, par exemple, ceux qui fçavent l'Hebreu font charmez de l'énergie des mots de cette langue.

Or quoique la langue Latine foit ellemême une langue dérivée du Grec & du Tofcan, néanmoins elle eft une langue mere à l'égard du François. La plupart de fes mots viennent du Latin. Ainfi quoique les mots Latins foient moins énergiques que ceux des langues dont ils font dérivez, ils doivent encore l'être

plus que les mots François. D'ailleurs le genie de notre langue eft très-timide, & rarement il ofe entreprendre de rien faire contre les regles, pour atteindre à des beautez où il arriveroit quelquefois s'il étoit moins fcrupuleux.

Nous voïons donc que plufieurs mots qui font encore des mots imitatifs en Latin, ne font plus tels en François. Notre mot, hurlement, n'exprime pas le cris du loup, ainfi que celui d'ululatus

dont il eft dérivé, quand on le prononce ouloulatous ainfi que le font les autres Nations. Heft de même des mots, fin gultus, gemitus, & d'une infinité d'autres. Les mots François ne font pas auffi énergiques que les mots Latins dont ils furent empruntez. J'ai donc eu raifon de dire que la plupart des mots Latins font plus beaux que la plufpart des mots François, même en examinant les mots en tant que fignes de nos idées.

Quant aux mots confiderez comme de fimples fons qui ne fignifieroient rien, il eft hors de doute qu'à cet égard les uns ne plaisent davantage que les autres, & par confequent que certains mots ne foient plus beaux que d'autres mots. Les mots qui font compofez de fons, qui par eux-mêmes & par leur mêlange plaifent davantage à l'oreille, doivent lui être plus agréables que d'autres mots où les fons ne feroient pas combinez auffi heureufement, & cela, comme je l'ai dit, indépendamment de leur fignification. Ofera-t-on nier que le mot de compagnon ne plaife plus à l'oreille que celui de collegue, bien que par rapport à leur fignification le mot de collegue foit plus beau que celui de compagnon? Les fimples foldats, les ouvriers mê

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