ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

je ne pourrois le dire, que fi la rime eft une Efclave qui ne doit qu'obéir, il en coûte bien pour ranger cette ELclave à fon devoir.

Nos Poetes font encore chargez du foin d'obferver la céfure, le nombre des fyllabes, & d'éviter en compofant la rencontre choquante de celles qui s'entreheurtent. Auffi voïons-nous bien des François qui compofent plus facile ment des vers Latins que des vers François. Or moins l'imagination du Poete eft gênée par le travail mécanique, mieux cette imagination prend l'effort. Moins elle eft refferrée, plus il lui refte de liberté pour inventer. Un Artifan qui peut manier fes inftrumens fans peine, met une élégance & une propreté dans fon execution, que l'Artifan qui n'a point entre les mains des inftrumens auffi dociles ne sçauroit mettre dans la fienne. Ainfi les Ecrivains Latins, & particulierement les Poetes Latins qui n'ont pas été gênez autant que les nôtres, ont pu tirer de leur langue des agrémens & des beautez qu'il eft prefque impoffible aux nôtres de tirer de la langue Françoife. Les Latins ont pû, par exemple, parvenir à faire de ces phrafes que j'appellerai ici des

phrafes imitatives. Il eft des phrases imitatives, ainfi qu'il eft des mots imitatifs. L'homme qui manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à fon gré le fentiment. dont il eft touché, a recours naturellement à l'expedient de contrefaire ce même bruit, & de marquer fon fentiment par des fons inarticulez. Nous fommes portez par un mouvement naturel à dépeindre par ces fons inarticulez le fracas qu'une maison aura fait en tombant, le bruit confus d'une affemblée tumultueufe, la contenance & les difcours d'un homme transporté de colere & plufieurs autres chofes. L'inftinct nous porte à fuppléer par ccs fons inarticulez à la ftérilité de notre langue ou bien à la lenteur de notre imagination. Ceux qui ont élevez des enfans fçavent combien il faut de foin pour les corriger du penchant qu'ils ont à fe fervir de ces fons inarticulez dont nous regardons l'ufage comme une mauvaise habitude. Les hommes en qui la nature n'a point été redreffée, les Sauvages & le bas peuple fe fervent fréquemment durant toute leur vie de ces fons inarticulez.

J'appellerai donc des phrases imita

tives celles qui font dans la prononciation un bruit, lequel imite le bruit inarticulé dont nous nous fervirions. par inftinct naturel, pour donner l'idée de la chofe que la phrafe exprime avec des mots articulez. Les Au teurs Latins font remplis de ces phrases imitatives qui ont été admirées & citées avec éloge par les Ecrivains du bon tems. Elles ont été loüées par les Romains du tems d'Augufte, qui étoient Juges competens de ces beattez. Tel est le vers de Virgile qui dépeint Poliphéme

[ocr errors]

Monftrum horrendum, informe, ingens,cuž lumen ademptum.

Ce vers prononcé en fupprimant les fyllabes qui font élifion, & en faifant fonner l'u comme les Romains le faifoient fonner, devient pour ainfi parler un vers monftrueux. Tel eft encore le vers où Perfe parle d'un homme qui nazille, & qu'on ne fçauroit auffi prononcer qu'en nazillant.

Rancidulum quiddambalba de nare locutus.

Le changement arrivé dans la prononciation du Latin nous a voilé, fuivant les apparences, une partie de ces

beautez, mais il ne nous les a point cachées toutes.

pas

Nos Poëtes qui ont voulu enrichir leurs vers de ces phrafes imitatives,n'ont réüffi au goût des François comme ces Poëtes Latins réüffiffoient au goût des Romains. Nous rions du vers où du Bartas dit en décrivant un courfier Le champ plat bat, abbat. Nous ne traitons pas plus ferieufement les vers où Ronfard décrit en phrafes imitatives. le vol de l'Aloüete..

Elle guindée du Zephire

Sublime en l'air vire & revire,,
Et y déclique un joli cris

Qui rit, guerit & tire l'ire
Des efprits mieux que je n'écris.

Pafquier rapporte plufieurs autres phrafes imitatives des Poëtes François dans le chapitre de fes Recherches, où il veut prouver que notre langue Françoife n'eft moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques; (a) mais les exemples que Pafquier rapporte refutent seuls La propofition..

En effet, parce qu'on aura introduit quelques phrafes imitatives dans des vers, il ne s'enfuit pas que ces vers (a) Liv. 8, chap. 106.

foient bons. Il faut que ces phrafes imitatives y ayent été introduites fans prejudicier au fens & à la conftruction grammaticale. Or il ne me fouvient que d'un feul morceau de Poëlie Françoife qui foit de cette efpece, & qu'on puiffe oppofer en quelque façon à tant d'autres vers que les Latins de tous les temps ont loüez dans les ouvrages des Poëtes qui avoient écrit en langue vulgaire. C'est la description d'un affaut qui se trouve dans l'Ode de Defpreaux fur la prife de Namur Le Poëte y dépeint en phrases imitatives & en vers élegans le foldat qui gravit contre une brêche & qui veut

Sur les monceaux de piques

De corps morts, de rocs, de briques,
S'ouvrir un large chemin.

Je demande pardon à ceux de nos: Poëtes qui peuvent avoir compofé dans ce goût-là avec autant de fuccès que Monfieur Defpreaux, de ne les point citer, c'eft que je ne connois pas leurs

vers.

Non-feulement la langue Françoife n'eft pas auffi fufceptible de ces beautez que la langue Latine; mais il fe trouve encore que nous n'avons pas étudié auFant que les Romains l'avoient fait, l'a

« ÀÌÀü°è¼Ó »