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afin de paroître uniquement occupé de ce travail, eft néanmoins diftrait,& qu'il donne fon attention, non pas à ce qu'il femble faire, mais à ce qu'il entend. Cette diftraction eft fenfible dans tout fon corps, & principalement dans fes mains & dans fa tête. Ses doigts font bien placez comme ils le doivent être pour pefer fur le fer, & pour le preffer contre la pierre à aiguifer, mais leur action eft fufpenduë. Par un gefte naturel à ceux qui écoutent en craignant qu'on ne s'apperçoive qu'ils prêtent l'oreille à ce qu'on dit, notre efclave tâche de lever affez la prunelle de fes yeux pour appercevoir fon objet fans lever la tête comme il la leveroit naturellement s'il n'étoit pas contraint.

Le talent du deffein donne de gran-. des facilitez pour réuffir dans les expreffions. Or il fuffit de voir l'Antinous, la Venus de Medicis & plufieurs autres monumens de l'antiquité, pour être convaincu que les anciens fçavoient du moins auffi-bien que nous deffiner élegamment & correctement. Leurs Peintres avoient même plus d'occafions que les notres n'en peuvent avoir, d'étudier le nud, & les exercices qui étoient alors en usage pour dénoüer & pour fortifier

,

de ce

comparaifon. Elles nous manquent. On ne sçauroit former un préjugé contre le coloris des anciens qu'ils ignoroient l'invention de détremper les couleurs avec de l'huile qui fut trouvée en Flandres il n'y a gueres plus de trois cens ans. On peut très-bien colorier en peignant à Frefque. La Meffe du Pape Jules, un ouvrage de Raphaël dont nous avons déja vanté le coloris, eft peinte à Frefque dans l'appartement de la Signature au Vatican.

Quant au clair-obfcur & à la diftribution enchantereffe des lumieres & des ombres, ce que Pline & les autres Ecrivains de l'antiquité en difent eft fi pofitif, leurs recits font fi bien circonftanciez & fi vrai-femblables, qu'on ne fçauroit difconvenir que les anciens n'égalaffent du moins dans cette partie de l'Art, les plus grands Peintres modernes. Les paffages de ces Auteurs que nous ne comprenions pas bien quand les Peintres modernes ignoroient encore quels preftiges on peut faire avec le fecours de cette magie, ne font plus fi embroüillez & fi difficiles depuis que Rubens, fes Eleves, Michel Ange de Caravage, & d'autres Peintres les ont expliquez bien mieux les pinceaux à la

que

main les Commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.

Il me paroît réfulter de cette difcuf fion, que les anciens avoient pouflé la partie du deffein, du clair-obfcur, de l'expreflion & de la compofition poëtique, du moins auffi loin que les modernes les plus habiles peuvent l'avoir fait. Il me paroît encore que nous ne fçaurions juger de leur coloris, mais que nous connoiffons fuffifamment par leurs ouvrages, fuppofé que nous aïons les meilleurs, que les anciens n'ont pas réuffi dans la compofition Pittorefque auffibien que Raphaël, Rubens, Paul Veronéfe & quelques autres Peintres modernes.

Le lecteur fe fouviendra de ce qui a donné lieu à cette digreffion fur la capacité des anciens dans l'Art de la peinture. Après avoir parlé de l'avantage que les Poëtes Latins avoient fur les Poëtes François; j'avois avancé que les Peintres des ficcles précedens n'avoient eu le même avantage fur les peintres qui travaillent aujourd'hui, ce qui m'a mis dans la neceffité de dire les raifons pour lesquelles je ne comprenois pas les Peintres Grecs & les anciens Peintres Tome 1.

R

pas

Romains dans ma propofition. J'y re viens donc & je dis, que les Peintres qui ont travaillé depuis que les Arts font fortis du tombeau, que Raphaël & fes Contemporains n'ont point eu aucun avantage fur nos Artifans. Ces derniers fçavent tous les fecrets, ils connoiffent toutes les couleurs dont les premiers fe font fervis.

SECTION

XXXIX.

En quel fens on peut dire que la nature fe foit enrichie depuis Raphaël.

A

U contraire, les Peintres qui tra vaillent aujourd'hui tirent plus de fecours de l'Art, que Raphaël & fes Contemporains n'en pouvoient tirer. Depuis Raphaël, l'art & la nature fe font perfectionnez, & fi Raphaël revenoit au monde avec fes talens, il feroit mieux encore qu'il ne l'a pû faire dans le temps où la deftinée l'avoit placé, au lieu que Virgile ne pourroit point écrire un Poëme Epique en François auffi-bien qu'il l'a écrit en Latin. L'Ecole Lombarde a porté le coloris à une

perfection où il n'avoit pas encore atteint du vivant de Raphaël. L'Ecole d'Anvers a fait encore depuis lui plufieurs découvertes fur la inagie du clairobfcur. Michel Ange de Caravage & les imitateurs ont auffi fait fur cette partie de la peinture, des découvertes excellentes, quoiqu'on puiffe leur reprocher d'en avoir été trop amoureux. Enfin depuis Raphaël la nature s'eft embellie. Expliquons ce Paradoxe.

Nos Peintres connoiffent prefentement une nature d'arbres & une nature d'animaux plus belle & plus parfaite que celle qui fut connue aux devanciers de Raphaël & à Raphaël lui-même. Je me contenterai d'en alleguer trois exemples, les arbres des Païs-bas les animaux d'Angleterre & de quelques autres Païs : enfin les fruits, les fleurs, & les arbres des Indes, tant Orientales qu'Occidentales.

Raphaël & fes Contemporains ont vêcu dans des temps où l'Afie Orientale & l'Amerique n'étoient pas encore découvertes pour les Peintres. Un Païs n'eft découvert pour les gens taine profeffion, ils ne fçauroient profiter de celles de fes richeffes, qui font à leur ufage, qu'après qu'il y a paffé des

d'une cer

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