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émouvoir. Or comme le dit Horace.

Segnius irritant animos demißa per aurem ▾
Quàm qua funt oculis fubjecta fidelibus.

La vûë a plus d'empire fur l'ame que les autres fens. C'eft celui en qui l'ame, par un inftinct que l'expérience fortifie, a le plus de confiance. C'est au fens de la vûë que l'ame appelle du rapport des autres fens lorfqu'elle foupçonne ce rapport d'être infidele. Ainfi les bruits & même les fons naturels ne nous affectent pas à proportion des ob jets visibles. Par exemple, les cris d'un homme bleffé que nous ne voïons point, ne nous affectent pas; bien que nous aïons connoissance du fujet qui lui fair jetter les cris que nous entendons,com→ me nous affecteroit la vûë de fon fang & de fa bleffure. On peut dire metaphori quement parlant, que l'ail eft plus près de l'ame que l'oreille.

En fecond lieu, les fignes que la peinture emploïe pour nous parler, ne font pas des fignes arbitraires & inftituez,tels que font les mots dont la poëfie fe ferr: La peinture emploie des fignes naturels dont l'énergie ne dépend pas de l'éducation. Ils tirent leur force du rapport que la nature elle-même a pris foin de

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mettre entre les objets extérieurs & nos organes, afin de procurer notre con fervation. Je parle peut-être mal quand je dis que la peinture emploïe des tignes. C'eft la nature elle-même que la peinture met fous nos yeux. Si notre efprit n'y eft pas trompé, nos fens du moins y font abufez. La figure des objets, leur couleur, les reflais de la lumiere, les ombres, enfin tout ce que, l'œil peut appervoir, fe trouve dans un tableau comme nous le voïons dans la nature. Elle fe prefente dans un tableau fous la même forme où nous la voïons réellement. I femble même que l'œil ébloui par l'ouvrage d'un grand Peintre, croïe quelquefois appercevoir du mouvement dans fes figures.

Les vers les plus touchans ne fçauroient nous émouvoir que par dégrez & en faisant jouer plufieurs refforts de notre machine les uns après les autres. Les mots doivent d'abord réveiller les idées dont ils ne font que des lignes arbitraires. Il faut enfuite que ces idées s'arrangent dans l'imagination, & qu'elles y forment ces tableaux qui nous touchent & ces peintures qui nous interes fent. Toutes ces operations, il eft vrai, font bien-tôt faites; mais il eft un prin

cipe inconteftable dans la méchanique, c'eft que la multiplicité des refforts affoiblit toûjours le mouvement, parce qu'un refforr ne communique jamais à un autre tout le mouvement qu'il a reçû. D'ailleurs il eft une de ces operations, celle qui fe fait quand le mot reveille l'idée dont il eft le figne, qui ne fe fait pas en vertu des loix de la nature. Elle eft artificielle en partie.

Ainfi les objets que les tableaux nous prefentent agiffant en qualité de fignes naturels, ils doivent agir plus promptement. L'impreffion qu'ils font fur nous doit être plus forte & plus foudaine que celle que les vers peuvent faire. Quand nous lifons dans Horace (a) la def cription de l'amour qui aiguife fes traits enflammez fur une pierre arrofée de fang; les mots dont le Poëte fe fert pour faire la peinture réveillent en nous les idées, & ces idées forment enfuite dans notre imagination le tableau où nous voïons l'amour dépêcher ce travail. Cette image nous touche; mais quand elle nous eft reprefentée dans dans un tableau, elle nous touche bien davantage. Nous voïons alors en un inftant ce que les vers nous font feule(a) Lib.2. Od. &.

ment imaginer, & cela même en plufieurs inftans. La peinture contenue dans

ces vers

pe

Ferus&Cupido

Semper ardentes acuens fagittas,

Cote cruenta.

paroît en quelque façon une image nouvelle à ceux qui la voïent à Chantilly dans un tableau. Elle ne les avoit pas encore frappez autant qu'elle les frapalors. Le Peintre s'eft fervi de cette image pour faire le fond d'un tableau dont la principale figure eft le portrait d'une Princeffe fortie du fang de France; mais qui eft plus. illuftre aujourd'hui dans la focieté des Nations, & qui doit être encore plus célebre dans l'avenir par fa beauté que par fon rang & par fa naiffance. On voit dans ce tableau des amours qui tournent une pierre à aiguifer. Un autre amour qui s'eft piqué le bras, darde fon fang fur cette pierre, où Cupidon affile des traits dont le fer étincelle.

Enfin il n'y a perfonne qui n'ait eu Poccafion de remarquer plufieurs fois dans fa vie combien il étoit plus facile de faire concevoir aux hommes tout ce qu'on veut leur faire comprendre ou

imaginer, par le moïen des yeux que par le moïen des oreilles. Le dessein qui repréfente l'élevation d'un Palais, nous fait concevoir en un inftant l'éfet de fa maffe. Son plan nous fait comprendre en un moment la diftribution des appartemens. Un difcours métho dique d'une heure, quelqu'attention que nous vouluffions y donner, ne nous. le feroit pas entendre auffi-bien que nous le concevons, pour ainfi dire * fur un coup d'œil. Les phrafes les plus nettes fuppléent mal aux deffeins, & il eft rare que l'idée d'un bâtiment que notre imagination aura formée, même fur le rapport des gens du métier, fe trouve conforme au bâtiment. Il nous arrive fouvent, quand nous voïons ce bâtiment dans la fuite, de reconnortre que notre imagination avoit conçu une chimere. Il en eft de même des environs d'une place de guerre, du campement d'une armée, d'un champ de bataille, d'une plante nouvelle, d'un animal extraordinaire, d'une machine,. enfin de tous les objets fur lefquels la curiofité peut s'exercer.Il faut des figures: pour faire entendre sûrement & diftintement, les livres les plus méthodiques qui traitent de ces fortes de cho

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