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de impreffion fur les hommes, princi. palement dans les contrées où communément ils ont le fentiment très-vif, telles que font les Regions de l'Europe les plus voifines du Soleil, & les côtes de l'Afie & de l'Afrique qui font face à ces Regions. Qu'on fe fouvienne de la défenfe que les tables de la Loi font aux Juifs de peindre & de tailler des figures humaines elles faifoient trop d'impreffion fur un peuple enclin par fon caractere à fe paffionner pour tous les objets capables de l'émouvoir.

Dans quelques païs Proteftans, où, fous prétexte de Réforme, les ftatuës & les tableaux ont été bannis des Eglifes; le Gouvernement ne laiffe pas de mettre en œuvre le pouvoir que la Peinture a naturellement fur les hommes pour contribuer à tenir le peuple dans le refpect des Loix. On voit au-deffus des Placards où ces Loix font écrites, des tableaux réprefentans le fupplice auquel les infracteurs qui les violeroient feroient condamnez. Il faut que dans cet Erat, rempli d'Obfervateurs politiques qui étendent leur attention fur bien des chofes aufquelles on ne daigne point faire reflexion en d'autre païs, nos Obfervateurs aïent remarqué que ces tableaux

étoient propres à donner du moins aux enfans, qui doivent un jour devenir des hommes, plus de crainte des châtimens prononcez par la Loi. Dans la Republique dont je parle, on fait apprendre à lire aux enfans dans des livres dont l'éloquence eft à la portée de cet âge & remplis encore d'images qui réprefentent des évenemens arrivez dans leur propre patrie, lefquels font propres leur infpirer de l'averfion contre la puiffance de l'Europe qui dans le tems eft la plus fufpecte à la Republique. Lorsque le fyftême de l'Europe vient à changer, on fait un nouveau livre, & on fubftitue la Puiffance qui eft devenuë redoutable à l'Etat à la place de celle qu'il a ceffé de craindre.

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La profeffion de Quintilien étoit d'enfeigner aux hommes l'art d'émouvoir les autres hommes par la force de la parole; cependant Quintilien met en paralelle le pouvoir de la Peinture avec le pouvoir de l'art Oratoire. Sic in intimos, dit-il en parlant de la Peinture, (a) penetrat fenfus, ut vim dicendi non nunquam fuperare videatur. Le même Auteur rapporte qu'il a vû quelquefois les accufateurs faire expofer dans le Tribu() Inflit, lib. 11° 6, 3.

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nal un tableau, où le crime dont ilspourfuivoient la vengeance étoit réprefenté, afin d'exciter encore plus efficacement l'indignation des Juges contre le coupable. On appelloit la Peinture au fecours de l'art Oratoire en un tems où cet Art étoit dans fa perfection. Et ipfe aliquando vidi depictam tabulam fupra Fovem, in imaginem rei cujus atrocitate judex erat commovendus. (a)

Quand on fait attention à la fenfibilité naturelle du chœur humain, à fa difpofition pour être ému facilement par tous les objets dont les Peintres & les Poëtes font des imitations; on n'est pas furpris que les vers & les tableaux mêmes puiflent l'agiter. La nature a voulu mettre en lui cette fenfibilité fi prompte & fi foudaine comme le premier fondement de la focieté. L'amour de foimême qui fe change prefque toujours en amour propre immoderé à mefure que les hommes avancent en âge, les rend trop attachez à leurs interêts prefens & à venir, & trop durs envers les autres, lorfqu'ils prennent leur refolution de fens raffis. Il étoit à propos que les hommes puffent être tirez de cet état facilement. La nature a donc pris le (a) Inftit, lib. 6. 6. a.

parti de nous conftruire de maniere que l'agitation de tout ce qui nous approche eut un puiffant empire fur nous, afin que ceux qui ont befoin de notre indulgence ou de notre fecours puffent nous ébranler avec facilité. Ainfi leur émotion feule nous touche fubitement; & ils obtiennent de nous, en nous attendriffant, ce qu'ils n'obtiendroient jamais par la voie du raifonnement & de la conviction. Les larmes d'un inconnu nous émeuvent même avant que nous fçachions le fujet qui le fait pleurer. Les cris d'un homme qui ne tient à nous que par l'humanité, nous font voler à fon fecours par un mouvement machinal qui précede toute déliberation. Celui qui nous aborde la joïe peinte fur le vilage, excite en nous un fentiment de joïe, avant que nous foïons informez du fujet de la fienne.

Ut ridentibus arrident, ita flentibus adflent
Humani vultus. (a)

Pourquoi les Acteurs qui fe paffionnent veritablement en déclamant, ne laiffent-ils pas de nous émouvoir & de nous plaire, bien qu'ils aïent des défauts effentiels : c'eft que les hommes

(a) Horatius de Arte..

qui font eux-mêmes touchez, nous touchent fans peine. Les Acteurs dont je parle font émus veritablement, & cela leur donne le droit de nous émouvoir, quoiqu'ils ne foïent point capables d'exprimer les paffions avec la noblesse ni avec la jufteffe convenable. La nature dont ils font entendre la voix fupplée à leur infuffifance. Ils font ce qu'ils peuvent; elle fait le refte.

De tous les talens qui donnent de l'empire fur les autres hommes, le talent le plus puiffant n'eft pas la fuperiorité d'efprit & de lumieres: c'est le talent de les émouvoir à fon gré, ce qui fe fait principalement en paroiflant foimême ému & penetré des fentimens qu'on veut leur infpirer. C'eft le talent d'être comme Catilina, Cujus rei libet fimulator, qu'on appellera, fi on veut, le talent d'être grand Comedien. Ceux des Anglois qui font le mieux informez de l'hiftoire de leur païs, ne parlent pas d'Olivier Cromwel avec la même admitation que le commun de la Nation; ils lui refufent ce genie étendu, penetrant & fupericur que lui donnent bien des gens, & ils lui accordent pour tout merite la valeur du fimple foldat & le talent d'avoir fçu paroître penetré des

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