페이지 이미지
PDF
ePub

fes. L'imagination la plus fage forge fouvent des fantômes lorfqu'elle veut réduire en images les defcriptions, principalement quand l'homme qui prétend imaginer, n'a jamais vû des chofes pareilles à celles dont il lit ou dont il entend la defcription. Je conçois bien, par exemple, que l'homme de guerre puiffe fur une defcription, fe former l'image d'un certain affaut ou d'un certain campement; mais celui qui ne vit jamais ni campemens ni affauts, ne peut s'en faire une jufte idée fur des relations. Ce n'est que par rapport aux chofes que nous avons vûës, que nous pouvons imaginer avec quelque précision -celles qu'on nous décrit.

Vitruve n'a pas écrit fon livre de l'Architecture avec autant de méthode & de capacité qu'il l'a fait, fans l'avoir écrit en même-temps avec toute la clarté dont fon fujet eft fufceptible. Cependant il eft arrivé que les figures dont Vitruve avoit accompagné fes explications s'étant perdues, la plûpart de ces explications paroiffent obfcures aujourd'hui. Les Sçavans difputent donc fur le fens d'un grand nombre de paffages de Vitrave; mais ils tombent tous d'accord que fon texte feroit clair fi nous

[ocr errors]

avions fes figures. Quatre lignes tracées fur le papier concilieroient ce que des volumes entiers de commentaires, ne fçauroient accorder. Les Anatomiftes les plus experts tombent auffi d'accord qu'ils auroient peine à concevoir le rapport d'une nouvelle découverte, fi l'on ne joignoit pas une figure à ce rapport. Un des Proverbes Italiens dont l'ufage eft le plus fréquent, eft qu'on fait tout concevoir à l'aide d'un deffein, d'une figure.

Les anciens prétendoient leurs que Divinitez euffent été mieux fervies par les Peintres & par les Sculpteurs, que par les Poëtes. Ce furent, felon eux, les Tableaux & les Statues qui concilierent à leurs Dieux la véneration des peuples aufquels ils firent faire attention fur les merveilles que les Poëtes racontoient de ces Dieux.La Statuë de Jupiter Olympien fit ajoûter foi plus facilement à la fable qui lui faifoit difpofer du ton

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Merfa fub aquoreis illa lateret aquis. (a)

Pour alléguer des faits plus pofitifs

(a) Ovid de Art. lib. 3.

lorfqu'on brûla le corps de Jules Cefar, il n'y avoit perfonne dans Rome qui ne fe fut fait raconter les circonftances de cet affaffinat. Il n'eft pas croïable qu'aucun habitant deRome ignorât le nombre. de coups dont Cefar avoit été percé. Cependant le peuple fe contentoit de le pleurer. Mais tout ce peuple fut faifi de fraïeur dès qu'on eut étalé devant lui la robe fanglante dans laquelle Cefar avoit été maffacré. Il fembloit, dit Quintilien, en parlant du pouvoir de l'œil fur notre ame, qu'on affaffinât Cefar devant le peuple. (a) Sciebatur interfectum eum. Veftis tamen illa fanguine madens ita reprefentavit imaginem fceleris, ut non occifus effe Cafar, fed tum maximè occidi videretur.

Du temps des Romains, ceux qui avoient fait naufrage portoient en demandant l'aumône un tableau, dans lequel leur infortune étoit repréfentée, comme un objet plus capable d'émouvoir la compaffion & d'exciter à la charité, que les rélations qu'ils pouvoient faire de leurs malheurs. On peut s'en rapporter aux lumieres & à l'expérience des hommes dont la fubfiftance dépend des aumônes de leurs concitoïens (4), Inftit, lib. 6, capo, ber

fur les voies les plus propres, fur les moïens les plus efficaces d'attendrir le cœur humain.

On peut faire contre mon sentiment, une objection dont on conclueroit que les vers touchent plus que les tableaux. C'est qu'il eft très-rare qu'un tableau faffe pleurer, & que les Tragédies font fouvent cet effet, même fans être des chefs-d'œuvres.

Je puis répondre deux chofes à cette objection. La premiere, qu'elle ne conclut pas abfolument en faveur de la poëfie. Une Tragédie qu'on entend réciter fur le théatre, eft aidée par des fecours étrangers dont nous expoferons tantôt le pouvoir. Les Tragédies qu'on lit en particulier ne font gueres pleurer, principalement ceux qui les lifent fans avoir entendu les réciter auparavant. Car je conçois bien qu'une lecture particuliere qui n'eft point capable par elle-même de faire une impreffion, qui aille jufques aux larmes, eft capable de renou veller cette impreffion lorfqu'elle au roit été faite une fois. Voilà même, fuivant mon opinion, pourquoi ceux qui n'ont fait que lire une Tragédie, & ceux qui ont entendu réciter la piece fur le théatre, font quelquefois d'un fent

ment oppofé dans le jugement qu'ils en portent.

Je réponds en fecond lieu, qu'une Tragédie renferme une infinité de tableaux. Le Peintre qui fait un tableau du facrifice d'Iphigenie, ne nous reprefente fur la toile qu'un inftant de l'ac tion. La Tragédie de Racine met fous nos yeux plufieurs inftans de cette action, & ces differens incidens fe rendent réciproquement les uns les autres plus pathétiques. Le Poëte nous préfente fucceffivement, pour ainfi dire, cinquante tableaux qui nous conduifent comme par dégrez à cette émotion extrême qui fait couler nos larmes. Cinquante Scénes qui font dans une Tragédie doivent donc nous toucher plus qu'une feule Scéne peinte dans un tableau ne fçauroit faire. Un tableau ne represente même qu'un inftant d'une Scéne. Ainfi un Poëme entier nous émeut plus qu'un tableau, bien qu'un tableau nous émouve plus qu'une Scéne qui reprefenteroit le même évenement, fi cette Scéne étoit détachée des autres, & fi elle étoit lue fans que nous cussions rien vû de ce qui l'a précedée.

Le tableau ne livre qu'un affaut à notre ame, au lieu qu'un Poëme l'attaque

« 이전계속 »