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durant long-temps avec des armes toû jours nouvelles. Le Poëme eft longtemps à ébranler l'ame avant que de la conduire à l'émotion qui la fait pleurer. Racine pour nous faire frémir d'horreur lors qu'Iphigenie fera conduite à l'autel fatal, nous la peint vertueufe, aimable & chérie d'un amant qu'elle aime. Ce Poëte nous fait paffer par differens dégrez d'émotion, & pour nous rendre plus fenfibles au malheur de la victime, il nous laiffe imaginer durant un temps qu'elle foit échappée au coûteau du facrificateur.

Un Peintre qui reprefenteroit l'inftant où l'on va plonger le fer facré dans la gorge d'Iphigenie, n'auroit pas l'avantage d'expofer fon tableau devant des fpectateurs auffi-bien préparez, & remplis d'amitié, & d'une amitié récente pour cette Princeffe. Il peut tout au plus nous intereffer pour elle; mais il ne fçauroit nous la rendre auffi chere que le Poëte peut le faire. La grandeur,d'ame, tous les fentimens élevez d'un beau naturel que le Poëte peut prêter à Iphigenie, nous affectionnent bien plus à un perfonnage de Tragédie, que les qualitez extérieures dont un Peintre peut orner le perfonnage d'un tableau, ne nous

affectionnent à ce perfonnage qui ne parle prefque pas. Voilà pourquoi nous fommes plus émus par un tableau que par un Poëme, quoique la peinture ait plus d'empire fur nous que la poësie.

L'efpece de paralelle que je viens de faire n'eft pas auffi rempli d'érudition que la comparaifon de la peinture & de la poëfie qui fe trouve dans le fçavant livre de Dujon le fils fur la peinture des anciens ; mais je m'imagine que mes refléxions vont mieux au fait que l'érudition de cet Auteur. (a)

L'induftrie des hommes a trouvé quelques moïens de rendre les tableaux plus capables de faire beaucoup d'impreffion fur nous. On les vernit. On les renferme dans des bordures dorées qui jettent un nouvel éclat fur les couleurs, & qui femblent, en feparant les tableaux des objets voifins, réunir mieux entr'elles les parties dont ils font compofez, à peu près comme il paroît qu'une fenêtre raffemble les differens objets qu'on voit par fon ouverture. Enfin quelques Peintres des plus modernes fe font avifez de placer dans les compofitions deftinées à être vues de loin, des parties de figures de ronde boffe qui en

(a) Junius de pic. vet. lib. 4. cap. prim.

trent dans l'ordonnance & qui font coloriées comme les autres figures peintes entre lefquelles ils les mettent. On prétend que l'œil qui voit diftinctement ces parties de ronde boffe faillir hors du tableau,en foit plus aisément féduit par les parties peintes, lefquelles font réellement plates, & que ces dernieres font ainfi plus facilement l'illufion à nos yeux. Mais ceux qui ont vû la voûte de l'Annonciade de Genes & celle du Jefus à Rome où l'on a fait entrer des figures en relief dans l'ordonnance, ne trouvent point que l'effet en foit bien merveilleux.

L'induftrie des hommes a beaucoup mieux fervi les vers que les tableaux. Elle a trouvé trois manieres de leur prêter une force nouvelle pour nous plaire & pour nous toucher. Ces trois manieres font la fimple récitation, celle qui eft accompagnée des mouvemens du corps, laquelle on nomme déclamation & le chant.

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SECTION XLI.

De la fimple récitation & de la déclamation.

L

Es premiers hommes qui ont fait des vers, ont dû s'appercevoir que la récitation donnoit une force aux vers qu'ils n'ont pas, quand on les lit foimême fur le papier où ils font écrits. Ils auront donc mieux aimé réciter leurs vers que de les donner à lire. L'harmo nie des vers qu'on récite,flatte l'oreille & augmente le plaifir que le fens des vers eft capable de donner. Au contraire, l'action de lire eft en quelque façon une peine. C'est une operation que l'œil apprend à faire par le fecours de l'Art, & qui n'eft pas accompagnée d'aucun fentiment agréable, comme eft celui qui naît de l'application des yeux fur les objets que nous offrent des tableaux.

Ainfi que les mots font les fignes arbitraires de nos idées, de même les differens caracteres qui compofent l'écriture font les fignes arbitraires des fons dont les mots font compofez. Il eft donc neceffaire, quand nous lifons des vers,

que les caracteres des lettres réveillent d'abord l'idée des fons dont ils fe trouvent être les fignes arbitraires, & il faut enfuite que les fons des mots, qui ne fe trouvent être eux-mêmes que des fignes arbitraires, réveillent les idées attachées à ces mots. Avec quelque viteffe & quelque facilité que ces operations fe faffent, elles ne fçauroient fe faire aufli promptement qu'une feule operation. C'est ce qui arrive dans la récitation où le mot que nous entendons réveille immédiatement l'idée qui eft liée avec ce mot.

Je n'ignore pas qu'une belle édition dont les caracteres bien taillez & bien noirs font rangez dans une proportion élegante fur du papier d'un bel œil, ne faffe un plaifir fenfible à la vûë; mais ce plaifir plus ou moins grand fuivant le goût qu'on peut avoir pour l'Art de l'imprimerie, eft un plaifir à part, & qui n'a rien de commun avec l'emotion que caufe la lecture d'un Poëme. Ce plaifir ceffe même dès qu'on applique fon attention à la lecture, & l'on ne s'apperçoit plus alors de la beauté de l'impreffion que par la facilité que les yeux trouvent à reconnoître les caracteres & à raffembler les mots, Confiderer le Vir

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