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gile des Elzevirs comme un chef-d'œuvre d'impreffion, ou lire les vers de Virgile pour en fentir les charmes, ce font deux actions très-diftinctes & trèsdifferentes. Il s'agit ici de la derniere. Elle n'eft pas un plaifir par elle-même. Elle eft fi peu un plaifir: elle nous fait fentir fi peu l'harmonie du vers, que l'inftinct nous porte à prononcer tout haut les vers que nous ne lifons que pour nous-mêmes, lorfqu'il nous femble que ces vers doivent être nombreux & harmonieux. C'eft un de ces jugemens que l'efprit fait par une operation qui n'eft pas prémeditée, & que nous ne connoiffons même que par une refléxion qui nous fait retourner, pour ainfi dire, fur ce qui s'eft paffé dans nous-mêmes. Telles font la plupart des operations de l'ame dont nous avons parlé, & la plupart de celles dont nous devons parler encore.

La récitation des vers eft donc un plaifir pour nos oreilles, au lieu que leur lecture eft un travail pour nos yeux. En écoutant réciter des vers, nous n'avons pas la peine de lire, & nous fentons leur cadence & leur harmonie. L'Auditeur eft plus indulgent que le LeAteur, parce qu'il eft. plus flatté par les

vers qu'il entend, que l'autre par ceux qu'il lit. N'eft-ce pas reconnoître que le plaifir d'entendre la récitation en impofe à notre jugement, que de remettre à prononcer fur le mérite d'un Poëme qui nous a plû, en l'entendant réciter, jufques à la lecture que nous en voulons faire, comme on dit, l'œil fur le papier Il faut, difons-nous, ne point compromettre fon jugement, & fouvent la récitation en impofe. L'experience que nous avons de nos propres fens, nous enfeigne donc que l'œil eft un cenfeur plus févere, qu'il eft pour un Poëme un fcrutateur bien plus fubque l'oreille, parce que l'œil n'eft pas expofé dans cette occafion à fe laiffer féduire par fon plaifir comme l'oreille. Plus un ouvrage plaît, moins on eft en état de reconnoître & de comp ter fes défauts. Or l'ouvrage qu'on entend réciter, plaît plus que l'ouvrage qu'on lit dans fon cabinet.

til

Auffi voïons-nous que tous les Poëtes, ou par inftinct ou par connoiffance de leurs interêts, aiment mieux réciter leurs vers que de les donner à lire, même aux premiers confidens de leurs productions. Ils ont raifon s'ils cherchentdes loüanges plûtôt que des confeils utiles.

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C'étoit par la voie de la récitation que les anciens Poëtes publioient ceux de leurs ouvrages qui n'étoient pas .compofez pour le théatre. On voit par les Satyres de Juvenal, (a) qu'il fe formoit à Rome des affemblées nombreuses pour entendre réciter les Poëmes que leurs Auteurs vouloient donner au public, Nous trouvons même dans les ufages de ce temps-là une preuve encore plus forte du plaifir que donne la fimple récitation des vers qui font riches en harmo nie. Les Romains, qui joignoient fou vent d'autres plaisirs au plaifir de la table, faifoient lire quelquefois durant le repas Homere; Virgile & les Poëtes excellens, quoique la plupart des convives duffent fçavoir par cœur une partie des vers dont on, leur faifoit entendre la lecture. Mais les Romains

comptoient que le plaifir du rithme & de l'harmonie dût fuppléer au mérite de la nouveauté qui manquoit à ces vers.

Juvenal (a) promet à l'ami qu'il invite à venir manger le foir chez lui,qu'il entendra lire les vers d'Homere & de Virgile durant le repas, comme on promer aujourd'hui aux convives une reprise de brelan après le fouper. Si mon lecteur,

a) Saty, pri, & Saty, Sept. (b) Saty, 11,

dit-il, n'eft pas des plus habiles dans fa profeffion, les vers qu'il nous lira font fi beaux, qu'ils ne laifferont pas faire plaifir.

de nous

Noftra dabunt alios hodie convivia ludos,
Conditor Iliados cantabitur atque Maronis
Altifoni, dubiam facientia carmina palmam:
Quid refert tales verfus qua voce legantur?

Dès que la fimple récitation ajoûte tant d'énergie au Poëme, il eft facile de concevoir quel avantage les pieces qui fe déclament fur un théatre, tirent de la représentation. (a) Scenici Allores optimis Poëtarum tantùm adjiciunt gratie, ut nos infinitè magis eadem illa audita quam lecta dele&tent, & viliffimis etiam quibufdam impetrant aures, ut quibus nullus eft in Bibliothecis locus, fit etiam in theatris. Si ceux qui trouvent les Comédies deTerence froides les avoient vû reprefenter par des Comédiens, qui mettoient du moins autant de vivacité dans leur action que les Comédiens Italiens, ils ne diroient plus la même chofe. Pour revenir à Quintilien : Qui voudroit mettre dans fon cabinet les Ven

danges de Surefne, s'il falloit faire copier

(a) Inft. Orator. lib. cap. 3.

cette Comédie, comme il auroit fallu la faire copier de fon temps, que l'Art de l'impreffion n'étoit pas encore inventé? Cependant la representation de cette farce nous amuse.

L'appareil de la Scéne nous prépare à être émus, & l'action théatrale donne une force merveilleufe aux vers. Comme l'eloquence du corps ne perfuade pas moins que celle des paroles; les geftes aident infiniment la voix à faire fon impreffion. L'inftinct naturel nous l'apprend, en nous enfeignant que ceux qui nous écoutent parler fans nous voir, ne nous entendent qu'à demi. En effet, la nature a affigné un gefte particulier à chaque paffion, à chaque fentiment. (4) Omnis enim motus animi fuum quemdam à natura habet vultum,& fonum, & gef tum. Chaque paffion a de même un ton particulier & une expreffion particulierę fur le vifage.

Le premier mérite du Déclamateur eft celui de fe toucher lui-même. L'émotion intérieure de celui qui parle, jet. te un pathétique dans fes tons & dans fes geftes que l'art & l'étude n'y fçaureient mettre. On eft prévenu pour l'Acteur qui paroît être ému lui-mêine. fad Cicer. lib. 3. de Oratore,

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