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On fe prévient contre celui qu'on reconnoît n'être point ému. Or je ne fçais quoi de froid dans les exclamations, de forcé dans le gefte, & de gêné dans la contenance, décelent toûjours l'Acteur indolent pour un homme que l'art feul fait mouvoir, & qui voudroit nous faire pleurer fans reffentir lui-même aucu ne affliction, caractere odieux, & qui tient quelque chofe de celui d'impof

teur.

Si vis me flere, dolendum eft

Primum ipfi tibi.

Tous ceux qui exercent un de ces Arts dont le but est d'émouvoir les autres hommes, doivent s'attendre d'être jugez fuivant la maxime d'Horace : que pour faire pleurer les autres il faut être affligé. On imite mal une paffion qu'on ne feint que du bout des lèvres. Pour la bien exprimer, il faut que le cœur en reffente du moins quelque legere atteinte. (a) Nec agamus rem quafi alicnam, fed affumamus parumper illum dolorem.

Je conçois donc que le génie qui forme les excellens Déclamateurs, confifte dans une sensibilité de cœur, qui les fait (a) Quin. lib. 6. cap. pr.

entrer machinalement, mais avec affe ction,dans les fentimens de leur perfonnage. Il confifte dans une difpofition méchanique à fe prêter facilement à toutes les paffions qu'on veut exprimer. Quintilien qui avoit cru que fa profeffion d'enseigner l'art d'être éloquent, le mît dans l'obligation d'étudier les mouyemens du cœur humain, du moins autant que les regles de la Grammaire, dit que l'Orateur qui touche le plus, c'eft celui qui fe touche lui-même davantage. (a) Imagines rerum quifquis benè conceperit, is erit in affectibus potentiffimus. Dans un autre endroit il dit, en parlant de l'imitation des mouvemens des paffions que fait l'Orateur dans fa déclamation, ou de affectibus qua effingun tur imitatione que l'effentiel pour le Déclamateur c'eft de s'échauffer l'imagination en fe représentant vivement à lui-même les objets de la Peinture, defquels il prétend fe fervir pour émouvoir les autres, c'eft de fe mettre à la place de ceux qu'il veut faire parler. (b) Primum eft benè affici, & concipere imagines rerum, & tanquam veris moveri.

:

Tous les Orateurs & tous les Comédiens que nous avons vû réuffir émi(b) Lib. 11. cap. 3.

(a) Quiet. lib. 6. cap. 1.

nemment dans leurs profeffions, étoient des perfonnes nées avec la fenfibilité dont je viens de parler. L'Art ne la donne point. Sans elle néanmoins le beau fon de voix & tous les autres talens nåturels ne fçauroient former un grand Déclamateur. On peut faire dans tous

les

temps fur les bons Acteurs la même obfervation que Quintilien faifoit fur ceux qui joüoient de fon temps. C'est que ces Acteurs avoient encore les larmes aux yeux au fortir de la Scéne, lotfqu'ils venoient d'y jouer quelqu'endroit bien intereffant, (a) Vidi ego fæpe Hiftriones atque Comados cum ex aliquo graviore actu perfonam depofuißent, flentes adbuc egredi.

Comme les femmes ont une fenfibilité plus foudaine, & qui eft plus à la difpofition de leur volonté,que la fenfibilité des hommes,comme elles ont,pour parler ainfi, plus de foupleffe dans le cœur que les hommes, elles réuffiffent mieux les hommes à faire ce que Quintilien exige de tous ceux qui veulent fe mêler de déclamer. Elles fe touchent plus facilement qu'eux des paffions qu'il leur plaît d'avoir. En un mot les hommes ne fe prêtent pas d'auffi

que

(a) Lib. 1. cap. 3.

bonne grace que les femmes aux fentimens duperfonnage qu'ils veulent jouer. Ainfi quoique les hommes foient plus capables que les femmes d'une appli cation forte & d'une attention fuivie, quoique l'éducation qu'ils reçoivent les rende encore plus propres qu'elles à bien apprendre tout ce que l'Art peut enfeigner, on a vû néanmoins depuis quarante ans fur la Scéne Françoife un plus grand nombre d'Actrices excellentes que d'excellens Acteurs. Depuis foixante ans que le Théatre de l'Òpera eft ouvert, on n'y a point vû d'homme exceller dans l'art de la déclamation propre pour accompagnerune récitation rallentie par le chant, autant que Made moiselle Rochoix.

SECTION XLII.

De notre maniere de réciter la Tragédie & la Comedie.

UISQUE le but de la Tragedie

P eft d'exciter la terreur & la compaf

fion, puifque le merveilleux eft de fence de ce Poëme ; il faut donner toute la dignité poffible aux perfonnages qui la reprefentent. Voilà pourquoi l'on habille aujourd'hui communément ces perfonnages de vêtemens imaginez à plaifir, & dont la premiere idée eft prife d'après l'habit de guerre des anciens Romains, habit noble par lui-même, & qui femble avoir quelque part à la gloire du peuple qui le portoit. Les habits des Actrices font ce que l'imagination peut inventer de plus riche & de plus majeftueux. Au contraire on fe fert des habits de ville, c'est-à-dire, de ceux qui font communément en ufage pour jouer la Comedie.

Les François ne s'en tiennent pas aux habits pour donner aux Acteurs de la Tragedie la nobleffe & la dignité qui leur conviennent. Nous voulons encore

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