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que ces Acteurs parlent d'un ton de voix plus élevé, plus grave & plus foutenu que celui fur lequel on parle dans les converfations ordinaires. Toutes les négligences que l'ufage autorife dans la prononciation des entretiens familiers, leur font interdites. Cette maniere de réciter eft plus pénible à la verité que ne le feroit une prononciation approchante de celles des converfations or dinaires; mais outre qu'elle a plus de dignité, elle eft encore plus avantageufe pour les Spectateurs, qui par fon moïen entendent mieux les vers. Les Spectateurs, qui la plûpart font affez éloignez du Théatre, auroient trop de peine à bien entendre des vers tragiques dont le ftile eft figuré : s'ils étoient récitez plus vîte & plus bas, fur-tout lorfque ces Spectateurs verroient une piece pour la premiere fois. Une partie des vers leur échapperoit, & ce qu'ils auroient perdu les empêcheroit fouvent d'être touchez de ce qu'ils entendroient. Il faut encore que les geftes des Acteurs Tragiques foient plus mefurez & plus nobles, que leurs démarches foient graves, & que leur contenance foit plus férieufe que les geftes, les démarches & le maintien des perfonnages de Co

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médie. Enfin nous exigeons des Acteurs
de Tragedie, de mettre un air de
deur & de dignité dans tout ce qu'ils
font, comme nous exigeons du Poëte
de le mettre dans tout ce qu'il leur fait
dire.

Auffi voïons-nous qu'au fentiment general des peuples de l'Europe, les François font ceux qui réuffiffent le mieux aujourd'hui dans la représentation des Tragedies. (a) Quoties difceffit emulatio,fuccedit humanitas. Les Italiens qui nous rendent juftice fans trop de répugnance quand il s'agit des Arts & des talens, où ils ne fe piquent pas d'exceller, difent que notre déclamation tragique leur donne une idée du chant ou de la déclamation théatrale des, anciens que nous avons perduë. En effet, à juger de la déclamation des Romains, & par conféquent de celle des Grecs fur la Scéne, defquels la Scéne Romaine s'étoit formée, par ce qu'en dit Quintilien, la récitation des anciens devoit être quelque chofe d'approchant de notre déclamation tragi

que.

C'eft de quoi nous parlerons plus au long dans le traité de la Mufique des (a) Quintil.lib. 11. cap. pr.

anciens qu'on trouvera à la fin de cet ouvrage.

Il eft affez établi en Europe, comme je l'ai déja dit, que les François, qui depuis cent ans compofent les meilleures pieces Dramatiques qui paroiffent aujourd'hui, font auffi ceux qui récitent le mieux les Tragedies, & qui fçavent les repréfenter avec le plus de décence. En Italie les Acteurs récitent la Tragedie du même ton & avec les mêmes geftes qu'ils récitent la Comedie. Le Cothurne n'y eft prefque pas different du Socque. Dès que les Acteurs Italiens veulent s'animer dans les endroits pathétiques, ils font outrez auffitôt. Le Heros devient un Capitan. Je ne dirai qu'un mot des Tragedies des Poëtes Italiens faites pour être déclamées. Elles font autant au-deffous des pieces de Corneille & de Racine, que les moins mauvais de nos Poëmes Epiques font au-deffous du Roland furieux, de l'Ariofte, & de la ferufalem délivrée du Taffe. Ou par defefpoir d'y réuffir, ou par d'autres motifs que je ne devine point, il paroît que les Italiens né gligent depuis long-temps la Poëfie Dramatique. La Mandragore de Machiavel, l'une des meilleures Comédies

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qui aïent été faites depuis Terence, & qu'on ne prendroit jamais pour une production d'efprit née dans le même cerveau, où font éclofes tant de refléxions fi profondes fur la guerre, fur la politique, & principalement fur les conju rations, eft demeurée en Italie une piece unique en fa claffe. La Clitie du même Auteur lui eft bien inférieure. Je ne crois pas que durant le cours du dix-feptiéme fiecle, les Preffes d'Italie nous aïent donné plus d'une trentaine de Tragedies faites pour être déclamées; elles, qui dans ce temps-là mirent au jour tant d'ouvrages d'efprit. Du moins n'en ai-je pas trouvé un plus grand nombre dans les Catalogues de ces fortes d'ouvrages, , que des Italiens illuftres dans la République des Lettres ont donnez depuis douze ans à l'occafion des difputes qu'ils ont foûtenues pour l'honneur de leur nation.

Les Poëtes Dramatiques Italiens ne compofent plus gueres que des Opera en comparaifon defquels toute l'Europe dit que les bons Opera François font des chefs-d'œuvres d'efprit, de bon fens & de régularié. Monfieur l'Abbé Gravina fit imprimer àNaples il y a vingt ans, cinq Tragédies compofées pour

être déclamées. Ce font Palamede, An dromede, Appius Claudius, Papinien & Servius Tullius. Il fe plaint élegamment dans la Préface en vers qu'il mit à la tête de ces Tragedies, que Melpomene, pour qui la Scéne fut inventée, n'y paroiffe plus en Italie que comme une fuivante de Polimnie; enfin, qu'elle ne s'y montre plus que comme la vile efclave de la Peinture, de la Mufique & de la Sculpture.

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Ein vece d'adoprar le forze proprie

Debba le forze adoprar de gl artefici,
Di Cantori, Pittori e Statuarii

Di quali è divenuta ancilla ignobile
- Colei che fopra loro ha'l fommo Imperio,
E fopra le fcene ha minor parte ed infima
Quella per cui le Scene s'inventaronno.

Dans une autre contrée de l'Europe le pathétique de la déclamation tragique confiftoit encore il n'y a que trente ans, en des tons furieux, en un maintien ou morne, ou bien effaré, & dans des ge ftes de forcenez. Les Acteurs de la Scene tragique dont je parle, étoient dif penfez de nobleffe dans leur gefte, de mefure dans leur prononciation, de dignité dans leur maintien, & de décence dans leurs démarches. Il fuffifoit qu'ils

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