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Je veux bien tomber d'accord de tous ces faits, qui prouvent feulement que les tableaux peuvent bien quelquefois nous faire tomber en illufion, mais non pas que l'illufion foit la fource du plaifir que nous font les imitations Poëtiques ou Pittorefques. La preuve eft que le plaifir continue, quand il n'y a plus de lieu à la furprise. Les tableaux plaifent fans le fecours de cette illufion. qui n'eft qu'un incident du plaifir qu'ils nous donnent, & même un incident affez rare. Les tableaux plaifent, quoiqu'on ait préfent à l'efprit qu'ils ne font qu'une toille fur laquelle on a placé des couleurs avec art. Une Tragedie touche ceux qui connoiffent le plus diftinctement tous les refforts que le génie du Poëte & le talent du Comédien mettent en œuvre pour les émouvoir.

Le plaifir que les tableaux & les Poëmes Dramatiques excellens nous peuvent faire, eft même plus grand lorfque nous les voïons pour la feconde fois, & quand il n'y a plus lieu à l'illufion. La premiere fois qu'on les voit, on est ébloui de leurs beautez. Notre efprit trop inquiet & trop en mouvement pour fe fixer fur rien de particulier, ne jouit veritablement de rien.Pour vouloir Tome I.

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courir tout & voir tout, nous ne voïons rien diftinctement. Il n'eft perfonne qui n'ait experimenté ce que j'avance, fi jamais il lui eft tombé dans les mains quelque livre qu'il fouhaitât avec beau coup d'impatience de lire. Avant que d'en pouvoir lire les premieres pages avec une attention entiere, il lui a fallu parcourir fon livre d'un bout à l'autre. Ainfi quand nous voïons une belle Tragédie, ou bien un beau tableau pour la feconde fois, notre efprit eft plus capable de s'arrêter fur les parties d'un objet qu'il a découvert & parcou ru en entier. L'idée generale de l'ouvrage a pris fon affiete, pour ainfi dire, dans l'imagination; car il faut qu'une çar telle idée y demeure quelque temps avant que d'y bien prendre fa place, Alors l'efprit fe livre fans diftraction à ce qui le touche. Un curieux d'Architecture n'examine une colonne, & il ne s'arrête fur aucune partie d'un Palais qu'après avoir donné le coup-d'œil à toute la maffe du bâtiment, qu'après avoir bien placé dans fon imagination l'idée : diftincte de ce Palais,

SECTION XLIV.

Que les Poëmes Dramatiques purgent les paffions.

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L fuffit de bien connoître les palfions violentes pour defirer férieufement de n'y jamais être affujeti, & pour prendre des réfolutions qui les empêchent du moins de nous fubjuguer fi facilement. Un homme qui fçait quelles inquiétudes la paffion de l'amour eft capable de caufer: un homme qui fçait à quelles extravagances elle conduit les plus fages, & dans quels périls elle précipite les plus circonfpects, defirera très-ferieufement de n'être jamais livré à cette yvreffe. Or les Poëfies Dramatiques, en mettant fous nos yeux les égaremens où les paffions nous conduifent, nous en font connoître les fymptômes & la nature plus fenfiblement qu'un livre ne fçauroit le faire. Voilà pourquoi l'on a dit dans tous les temps que la Tragedie purgeoit les paffions. Les autres Poëmes peuvent bien faire quelque effet approchant de celui de la Tragedie, mais comme

l'impreffion qu'ils font fur nous, n'est point à beaucoup près auffi grande que l'impreffion que la Tragedie fait à l'aide de la Scéne, ils ne font pas auffi efficaces que la Tragedie pour purger les paffions.

Les hommes avec qui nous vivons, nous laiffent prefque toûjours à devi, ner le véritable motif de leurs actions, & quel eft le fond de leur cœur. Ce qui s'en échappe au dehors, & ce qui ne paroît qu'une étincelle, vient fouvent d'un incendie qui fait des ravages affreux dans l'intérieur. Il arrive donc fouvent que nous nous trompions nousmêmes, en voulant deviner ce que penfent les hommes, & plus fouvent encore ils nous trompent eux-mêmes dans ce qu'ils nous difent de la fituation de leur cœur & de leur efprit. Les perfonnages de Tragedies quittent le mafque devant nous. Ils prennent tous les fpectateurs pour confidens de leurs véritables projets & de leurs fentimens les plus cachez. Ils ne laiffent rien à deviner aux fpectateurs que ce qui peut être deviné sûrement & facilement, On peut dire la même chofe des Comedies.

D'ailleurs, la profeffion du Poëte

Dramatique, eft de peindre les paffions telles qu'elles font réellement fans exágerer les chagrins qui les accompágnent, & les malheurs qui les fuivent. C'eft encore par des exemples qu'il nous inftruit. Enfin ce qui doit achever de nous convaincre de fa fincerité, nous nous reconnoiffons nous-mêmes dans fes tableaux. Or la peinture fidelle des paffions fuffit feule pour nous les faite craindre, & pour nous engager à prendre la réfolution de les éviter avec toute l'attention dont nous fommes capables. Il n'eft pas befoin que cette peinture foit chargée. Qui peur, après avoir vû le Cid, ne point apprehender d'avoir une explication chatouilleufe dans un de ces momens où nos humeurs font aigries? Quelle réfolution ne forme-ton pas de ne point traiter les affaires qui nous tiennent trop au cœur dans ces inftans, où il eft fi facile que l'explication aboutiffe à une querelle ? Ne fe promet-t-on point de fe taire, du

moins dans toutes les occafions où notre imagination trop émuë peut nous faire dire quatre mots, que nous vou'drions racheter par un filence de fix mois. Cette crainte des paffions ne laiffe point d'avoir quelque effet.

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