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fentimens qu'il vouloit feindre, & auffi ému des paffions qu'il vouloit inspirer aux autres, que s'il les avoit fenties veritablement. Turlow, difent-ils, lui expliquoit dans le tems, & comme on l'explique à une femme qu'on veut faire agir dans une affaire importante, quek les perfonnes il falloit gagner pour réuffir un projet, & par quel endroit il falloit les attaquer. Olivier leur parloit enfuite fi pathetiquement, qu'il les gagnoit. L'Europe furprise de le voir détourner à fon avantage l'évenement qu'on avoit cru le devoir perdre, lui faifoit honneur pour ce fuccès de trois vertus qu'il n'avoit pas : c'eft ainfi que fa réputation s'eft établie. Quelques Contemporains d'un Miniftre des plus illuftres que la France air cu dans le dernier fiecle difoient de lui quelque chofe d'approchant.

Quand nous fommes dans un de ces réduits où plufieurs joueurs font affis autour de differentes tables: pourquoi un instinct fecret nous fait-il prendre place auprès des joueurs qui rifquent de plus groffes fommes, bien que leur jeu ne foit pas auffi digne de curiofité que celui qui fe jouë fur les autres tables? Quel attrait nous ramene auprès d'eux quand

un mouvement de curiofité nous a fait aller voir ce que la fortune décidoit fur les théatres voifins? C'est que l'émotion des autres nous émeut nous-mêmes, & ceux qui jouent gros jeu nous émeuvent davantage, parce qu'eux-mêmes ils font plus émus.

Enfin il eft facile de concevoir comment les imitations que la Peinture & la Poëfie nous préfentent, font capables de nous émouvoir, quand on fait reflexion qu'une coquille, une fleur, une médaille où le tems n'a laiffé que des phantômes de Lettres & de figures, excitent des paffions ardentes & inquietes: le defir de les voir & l'envie de les pof feder. Une grande paffion allumée par le plus petit objet eft un évenement ordinaire. Rien n'eft furprenant dans nos paffions qu'une longue durée.

SECTION V.

Que Platon ne bannit les Poëtes de Sa Republique, qu'à cause de Pimpreffion trop grande que leurs imitations peuvent faire.

les imitations font

L'impreffion que les és citacinftances paroît même fi forte, & par confequent dangereuse à Platon, qu'elle eft caufe de la refolution qu'il prend de ne point fouffrir l'imitation Poëtique, ou la Poëfie proprement dite, dans cette Republique ideale dont il regle la conftitution avec tant de plaifir. Il craint que les peintures & les imitations qui font l'effence de laPoëfie, ne faffent trop d'effet fur l'imagination de fon peuple favori, qu'il fe réprefentoit avec la conception auffi vive & d'un naturel auffi fenfible que les Grecs fes compatriotes. Les Poëtes, dit Platon, ne fe plaifent point à nous décrire la tranquillité de l'interieur d'un homme fage qui conferve toujours une égalité d'efprit à l'épreuve des peines & des plaifirs. Ils ne font pas fervir le talent de la fiction

pour nous peindre la fituation d'un homme qui fouffre avec constance la perte d'un fils unique. (a) Ils n'introduisent pas fur les théatres des perfonnages qui fçachent faire taire les paffions devant la faifon. Les Poëtes n'ont pas tort fur ce point. Un Stoïcien joüeroit un rôle bien ennuieux dans une tragedie. Les Poëtes qui veulent nous émouvoir, c'eft Platon qui réprend la parole, préfentent des objets bien differens: ils introduifent dans leurs Poëmes des hommes livrez à des defirs violens, des hommes en proïe à toutes les agitations des paffions, ou qui lutent du moins contre leurs fecouffes. En effet les Poëtes fçavent fi bien que c'est l'agitation d'un acteur qui nous fait prendre plaifir à l'entendre parler, qu'ils font difparoître les perfonnages dès qu'il eft décidé s'ils feront heureux ou malheureux, dès que leur deftinée eft fixée. Or, fuivant le fentiment de Platon, l'habitude de fe livrer aux paffions, même à ces paffions artificielles, que la Poëfie excite, affoiblit en nous l'empire de l'ame fpirituelle & nous difpofe à nous laiffer aller aux mouvemens de nos appetits. C'est un dérangement de l'ordre que ce Philofophe

(a) De Rep. lib. 10. p. 604. Edit. Serrani.

voudroit établir dans les actions de l'homme qui, felon lui, doivent être reglées par fon intelligence, & non pas gouvernées par les appetits de l'ame fen

fitive.

Platon (4) reproche encore un autre inconvenient à la Poëfie: c'eft que les Poëtes en se mettant auffi fouvent qu'ils le font à la place des hommes vicieux dont ils veulent exprimer les fentimens, contractent à la fin les mœurs vicieuses dont ils font tous les jours des imitations. Il eft trop à craindre que leur efprit ne fe corrompe à force de s'entretenir des idées qui occupent les hommes corrompus. Frequens imitatio, a dit depuis Quintilien (b) en parlant des Comediens, tranfit in mores.

Platon (c) appuie de fa propre experience les raifonnemens qu'il fait sur les mauvais effets de la Poëfie. Après avoir avoüé que fouvent il s'eft trop laiffé seduire à fes charmes, il compare la peine qu'il fent à fe feparer d'Homere à la peine d'un amant forcé, après bien des combats, à quitter une maîtreffe qui prend trop d'empire fur lui. Il l'ap

(a) De Rep. lib. 3. p. 396.
(b) Inft. Or. lib. 1. cap. 19.
(c) De Rep, lib, 10. p. 607.

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