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Il n'eft gueres de paffion qui ne foit un petit feu dans fon commencement, & qui ne s'éteignît bien-tôt, fi une jufte défiance de nous-mêmes nous faifoit fuir les objets capables de l'attifer. Phedre criminelle malgré elle-même,eft une fable comme celle de la naiffance de Bachus & de Minerve.

Qu'on ne me faffe point dire après cele, que les Poëmes Dramatiques font un remede fouverain & univerfel en morale. Je fuis trop éloigné de rien penfer d'approchant, & je veux dire feulement que les Poëmes Dramatiques corrigent quelquefois les hommes, &

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fouvent ils leur donnent l'envie d'être meilleurs. C'eft ainfi que le fpectacle imaginé par les Lacedemoniens, pour infpirer l'averfion de l'ivrognerie à leur jeuneffe, faifoit fon effet. L'horreur que la manie & l'abrutiffement des Efclaves qu'on expofoit yvres fur un théatre donnoient aux fpectateurs, laiffoient en eux une ferine réfolution de réfifter aux attraits de ce vice. Cette réfolution empêchoit quelques jeunes gens de prendre du vin avec excès, quoiqu'elle ne fut point capable d'en retenir plufieurs autres. Il eft des hommes trop fougueux pour être retenus par

des exemples, & des paffions trop allumées pour être éteintes par des reflé xions Philofophiques. La Tragédie purge donc les paffions à peu près comme les remedes guériffent, & comme les armes défenfives garantiffent des coups des armes offenfives. La chofe n'arrive pas toûjours, mais elle arrive quelquefois.

J'ai fuppofé dans tout ce que je viens de dire, la morale des pieces de théatre auffi bonne qu'elle doit l'être. Les Poëtes Dramatiques dignes d'écrire pour le théatre, ont toûjours regardé l'obligation d'infpirer la haine du vice & l'amour de la vertu, comme la premiere obligation de leur art. Ce que je puis affurer, dit Monfieur Racine à ce fujet, (a) c'est que je n'ai point fait de Tragedie où la vertu foit plus mife an jour que dans celle-ci. Les moindres fantes y font féverement punies. La feule penfée du crime y eft regardée avec autant d'horreur que le crime même. Les foibleßes de l'amour y paffent pour de véritables foibleffes. Les paffions n'y font préfentées aux yeux, que pour montrer le défordre dont elles font caufe, & le vice y eft peint par tout avec des couleurs qui en font con. (a) Pref. de Phedre.

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noitre & hair la difformité. C'est-là proprement le but que tout homme qui tra vaille pour le théatre doit le propofer, & c'est ce que les premiers Poetes tragiques avoient en vue fur toute chofe. Leur théatre étoit une Ecole où la vertu n'étoit pas moins bien enfeignée que dans les Ecoles des Philofophes.

Les Ecrivains qui ne veulent pas comprendre comment la Tragédie purge les paffions, alleguent pour juftifer leur fentiment, que le but de la Tragédie eft de les exciter. Un peu de refléxion leur auroit fait trouver l'éclairciffement de cette ombre de difficulté, s'ils avoient daigné le chercher.

La Tragédie prétend bien que tou tes les paffions dont elle fait des tableaux nous émeuvent, mais elle ne veut pas toujours que notre affection foit la même que l'affection du perfonnage tourmenté par une paffion, ni que nous époufions fes fentimens. Le plus fouvent fon but eft d'exciter en nous des fentimens oppofez à ceux qu'elle prête à fes perfonnages. Par exemple, quand la Tragédie nous dépeint Médée qui fe vange par le meurtre de fes propres enfans, elle difpofe fon ta

bleau, de maniere que nous prenions en horreur la paffion de la vengeance, laquelle eft capable de porter à des excès fi funeftes. Le Poëte prétend feulement nous infpirer les fentimens qu'il prête aux perfonnages vertueux, & encore ne veut-il nous faire époufer que ceux de leurs fentimens qui font loiiables. Or quand on dit que la Tragédie purge les paffions, on entend parler feulement des paffions vitieufes & préjudiciables à la focieté. Une Tragédie qui donneroit du dégoût des paffions utiles à la focieté,telles que font l'amour de la patrie, l'amour de la gloire, la crainte du deshonneur, &c. feroit auffi vitieufe qu'une Tragédie qui rendroit le vice aimable.

Il eft vrai qu'il eft des Poëtes Dramatiques ignorans dans leur aft, & qui fans connoiffance des mœurs, repréfentent fouvent le vice comme une gran deur d'ame, & la vertu comme une petiteffe d'efprit & de cœur. Mais cette faute doit être imputée à l'ignorance, ou bien à la dépravation de l'Artifan, & non point à l'art. On dit du Chirurgien qui eftropie celui qu'il faigne, qu'il eft un mal-adroit, mais fa faute ne décrie point la faignée, & ne dé

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crédite pas la Chirurgie. Un miferable Auteur fait une Comédie qui détruit ún des principaux élemens de la focieté, je veux dire la perfuafion où doivent être les enfans que leurs parens les aiment encore plus que ces parens ne s'aiment eux-mêmes. Il fait rouler l'intrigue de fa piece fur la rufe d'un pere qui met en œuvre la fourberie la plus rafinée, pour faire enfermer ses enfans qui font bien nez, afin de s'approprier leur bien, & d'en jouir avec fa maîtreffe. L'Auteur dont je parle, expofe ce miftere d'iniquité fur la Scene Comique, fans le rendre plus odieux que Terence cherche à rendre odieux les tours de jeuneffe des Efchines & des Pamphiles, que le bouillant de l'âge précipite malgré leurs remords dans des foibleffes que le monde excufe, & dont les peres eux-mêmes ne font pas toûjours auffi defefperez qu'ils le difent. D'ailleurs, l'intrigue des pieces de Terence finit par un denouement qui met le fils en état de fatisfaire à la fois fon devoir & fon inclination. La tendreffe paternelle combattuë dans le pere par la raison, les agitations d'un enfant bien né, tourmenté par la crainte de déplaire à fes parens, ou de perdre la maîtreffe,

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