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n'avons jamais entendu, & qui peurêtre ne furent jamais dans la nature, Tels font le mugiffement de la terre quand Pluton fort des Enfers, le fiflement des airs, quand Apollon infpire la Pythie, le bruit que fait un ombre en fortant de fon tombeau, & le frémiffement du feüillage des chênes de Dodone. Il eft une verité de convenance pour ces fymphonies. Le convenientia finge d'Horace, a lieu ici comme dans la Poëfie. On connoît quand la vrai-femblance requife s'y rencontre. La vrai-femblance s'y trouve certainement, quand elles font un effet approchant de l'effet que les bruits qu'elles imitent auroient pû faire, & quand elles nous paroiffent conformes à ces bruits inoüis, mais dont nous ne laiffons Pas de nous être formé une idée confufe par rapport à d'autres bruits que nous avons entendus. On dit donc des fymphonies de gette efpece, ainfi que de celles qui peuvent imiter des bruits véritables, qu'elles expriment bien ou qu'elles n'expriment pas. On loue celle du tombeau d'Amadis & celle de l'Opera d'Iffé en difant qu'elles imitent bien le natu rel, quoiqu'on n'ait jamais vû la nature dans les circonstances où ces fym

phonies prétendent la copier. Ainfi, bien que ces fymphonies foient en un certain fens inventées à plaifir, elles aident beaucoup néanmoins à rendre le fpectacle touchant & l'action pathétique. Par exemple, les accens funébres de la fymphonie que Monfieur de Lulli a placez dans la Scéne de l'Opera (a) d'Amadis, où l'Ombre d'Ardan fort du tombeau, font autant d'impreffion fur notre oreille, que le fpectacle & la déclamation en font fur nos yeux. Notre imagination attaquée en même-tems par l'organe de la vûë & par l'organe de l'ouie, eft beaucoup plus émuë de l'apparition de l'Ombre, que fi nos yeux feuls étoient féduits. La fymphonie par laquelle Monfieur des Touches fait préceder l'Oracle que rendent les chênes de Dodone produit un effet femblable. (b) Le frémiffement du feüillage de ces arbres qu'elle imite par fon chant, par fon harmonie & par fon rithme, difpofe à trouver de la vraifemblance dans la fuppofition qui va leur prêter la parole. Il paroît croïable qu'un bruit approchant de celui de cette fymphonie ait précedé, qu'il ait préparé les fons articulez que l'Oracle proferoit. (b) Dans l'Opera d'Iffé.

(a) A&. 3.

Enfin ces fymphonies qui nous femblent fi belles, quand elles font emploïées comme l'imitation d'un certain bruit, nous paroîtroient infipides, elles nous paroîtroient mauvaises, fi l'on les emploïoit comme l'imitation d'un autre bruit. La fymphonie de l'Opera d'Iffé dont je viens de parler fembleroit ridicule, fi l'on la mettoit à la place de celle du tombeau d'Amadis. Ces morceaux de mufique qui nous émeuvent fenfiblement, quand ils font une partie de l'action théatrale, plairoient mê, me médiocrement, fi l'on les faifoit entendre comme des fonates, ou des morceaux de fymphonies détachez, à une perfonne qui ne les auroit jamais entendues à l'Opera, & qui en jugeroit par conféquent fans connoître leur plus grand mérite, c'eft-à-dire, le rapport qu'elles ont avec l'action, où, pour parler ainfi, elles joüent un rô le.

Les premiers principes de la mufique, font donc les mêmes que ceux de la poëfie & de la peinture. Ainfi que la! poëlie & la peinture, la mufique eft une imitation. La mufique ne fçauroit être bonne, fi elle n'est pas confor, me aux regles generales de ces deux

arts fur le choix des fujets, fur la vraifemblance, & fur plufieurs autres points. Comme le dit Ciceron. (a) Omnes artes que ad humanitatem pertinent, habent quoddam commune vinculum & quafi cognatione quadam inter fe continuan

tur.

Comme il eft des perfonnes qui font plus touchées du coloris des tableaux que de l'expreffion des paffions, il est de même des perfonnes, qui dans la mufique ne font fenfibles qu'à l'agrément du chant, ou bien à la richeffe de l'harmonie, & qui ne font point affez d'attention, fi ce chant imite bien le bruit qu'il doit imiter, ou s'il eft convenable au fens des paroles aufquelles il eft adapté. Elles n'éxigent point du Muficien, qu'il affortiffe fa mélodie avec les fentimens contenus dans les paroles qu'il met en chant. Elles fe contentent que les chants foient variez gracieux, & il leur fuffit qu'ils expriment en paffant quelques mots du récit. Le nombre des Muficiens qui fe conforment à ce goût, comme fi la mufique étoit incapable de faire rien de mieux, n'eft que trop grand. S'ils mettent en chant, par exemple, celui des

(a) Pro Arch.

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verfets du Pfeaume Dixit Dominus, qui commence par ces mots, De torrente in via bibet, ils s'attachent uniquement à l'expreffion de la rapidité du torrent dans fa course, au lieu de s'attacher aufens de ce verfet, qui contient une prophétie fur la Paffion de Jefus-Chrift. Cependant, l'expreffion d'un mot ne fçauroit toucher autant que l'expreffion d'un fentiment, à moins que le mot ne contint feul un fentiment. Si le Muficien donne quelque chofe à l'expreffion d'un mot qui n'eft que la partie d'une phrase, il faut que ce foit fans perdre de vûë le fens general de la phrafe qu'il met en

chant.

Je placerois volontiers la musique où le Compofiteur n'a point fçû faire fervir fon art à nous émouvoir, au rang des tableaux qui ne font que bien coloriez, & des Poëmes qui ne font que bien verfifiez. Comme les beautez de l'execution doivent fervir en poësie, ainsi qu'en peinture, à mettre en œuvre les beautez d'invention & les traits de génie qui peignent la nature qu'on imite, de même, la richeffe & la varieté des accords, les agrémens & la nouveauté des chants,ne doivent fervir en mufique que pour faire & pour embellir l'imita

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