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autres. Cette prédilection dépend de notre goût, & notre goût dépend de notre organisation, de nos inclinations préfentes, & de la fituation de notre efprit. Quand notre goût change, ce n'eft point parce qu'on nous aura perfuadé d'en changer, mais c'eft qu'il eft arrivé en nous un changement physique. Il eft vrai que fouvent ce changement nous a été infenfible, & que nous ne pouvons même nous en appercevoir qu'à l'aide de la refléxion, parce qu'il s'eft fait peu à peu & imperceptiblement. L'âge & plufieurs autres caufes, produifent en nous ces fortes de changemens. Une paffion trifte, nous fait aimer durant un temps des livres affortis à notre humeur préfente. Nous changeons de goût auffi-tôt que nous fommes confolez. L'homme, qui durant fon enfance, trouvoit plus de plaifir à lire les Fables de la Fontaine, que les Tragé dies de Racine, leur préfère à trente ans ces mêmes Tragédies. Je dis préferer & aimer mieux, & non pas louer & blâmer, car en préferant la lecture des Tragédies de Racine à celle des fables de la Fontaine, on ne laiffe pas de louer & même d'aimer toûjours ces fables. L'homme dont je parle aimera

mieux à foixante ans les Comédies de Moliere, qui lui remettront fi bien devant les yeux le monde qu'il a vû, & qui lui fourniront des occafions fi fréquentes de faire des refléxions fur ce qu'il aura obfervé dans le cours de fa vie, qu'il n'aimera les Tragédies de Racine, pour lesquelles il avoit tant de goût, lorsqu'il étoit occupé des paffions que ces pieces nous dépeignent. Mais ces goûts particuliers n'empêchent

les hommes de rendre justice aux pas bons Auteurs, ni de faire le difcer nement de ceux qui ont réuffi, même dans le genre pour lequel ils n'ont point de prédilection. C'eft fur quoi nous nous étendrons davantage à la fin de la feconde partie de cet ouvrage.

SECTION L.

De la Sculpture, du talent qu'elle demande, & de l'art des bas-reliefs.

To

OUT ce que nous avons dit tour chant l'ordonnance & l'expreffion des tableaux, peut auffi s'appliquer à la Sculpture. Le cizeau eft capable d'imiter, & dans les mains d'un homme de génie, il fçait intereffer prefque autant que le pinceau. Il eft vrai qu'on peut être un bon Sculpteur fans avoir autant d'invention qu'il en faut pour être un excellent Peintre, mais fi la poëfie n'eft pas finéceffaire au Sculpteur, un Sculpteur ne laiffe pas d'en faire un ufage qui le met fort au-deffus de fes concurrens. Nous voyons donc par plufieurs produétions de la fculpture, qu'entre les mains d'un homme de génie, elle eft capable des plus nobles operations de la peinture. Telle étoit l'hiftoire de Niobé, repréfentée avec quatorze ou quinze ftatuës liées entr'elles par une même action. On voit à Rome dans la Vigne de Medicis les fçavantes reliques de cette compafi

tion antique. Tel étoit le Groupe d'Alexandre bleffé & foûtenu par des foldats, dont le Pafquin & le Torfe de Belveder font des figures. Pour parler de la fculpture moderne, tels font le tonbeau du Cardinal de Richelieu, & l'enlevement de Proferpine par Girardon, la Fontaine de la Place Navonne, & l'Extafe de Sainte Therefe par le Bernin, comme le grand bas-relief de l'Algarde qui repréfente faint Pierre & faint Paul en l'air menaçants Attila, qui venoit à Rome pour la faccager. Ce bas-relief fert de tableau à un des petits Autels de la Bafilique de faint Pierre.

Je ne fçais point même s'il ne faut pas plus de génie pour tirer du marbre une compofition pareille à celle de l'Attila, que pour la peindre fur une toile. En effet, la poësie & les expreffions en font auffi touchantes que celle du tableau où Raphaël a traité le même sujet, & l'execution du Sculpteur, qui femble avoir trouvé le clair-obfcur avec fon cizeau, me paroît d'un plus grand mérite que celle du Peintre. Les figures qui font fur le devant de ce fuperbe mor ceau font ifolées. Elles font de vérita bles ftatuës. Celles qui font derriere ont moins de relief, & leurs traits font plus

ou moins marquez, felon qu'elles s'enfoncent dans le lointain. Enfin la compo fition finit par plufieurs figures, deffinées fur la fuperficie du marbre par dé fimples traits. Je ne prétend pas louer Algarde d'avoir tiré de fon génie la premiere idée de cette execution, nid'ê tre l'inventeur du grand art des bas-re liefs, mais bien d'avoir beaucoup perfectionné par l'ouvrage dont il s'agit ici, cet art déja trouvé par les modernes.

Nous ne voïons pas du moins dans les morceaux de la fculpture Grecque ou Romaine qui nous font reftez, que l'art des bas-reliefs ait été bien connu des anciens. Leurs Sculpteurs ne fçavoient que couper des figures de ronde boffe par le milieu ou par le tiers de feur épaiffeur, & les plaquer, pour ainfi dire, fur le fond du bas-relief, fans que celle qui s'enfonçoient fuffent dégra dées de lumiere. Une tour qui paroît à cinq cens pas du devant du bas-relief, à en juger par la proportion d'un foldat monté fur la tour, avec les perfonnages placez le plus près du bord du plan, cette tour, dis-je, eft taillée comme fi l'on la voïoit à cinquante pas de diftance. On apperçoit diftinctement la jointu fe des pierres, & l'on compte les tuilles

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