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vice important à deux Arts que l'on compte parmi les plus beaux ornemens des fociętez polies, que d'examiner en Philofophe comment il arrive que leurs productions faffent tant d'effet fur les hommes. Un livre qui, pour ainfi dire, déploïeroit le cœur humain dans l'inf tant où il eft attendri par un poëme, ou touché par un tableau, donneroit des vûës très-étendues & des lumieres justes à nos Artisans fur l'effet general de leurs ouvrages qu'il femble que la plupart d'entre eux aient tant de peine à prévoir. Que les Peintres & les Poëtes me pardonnent de les défigner fouvent par le nom d'Artifan dans le cours de ces Reflexions. La veneration que j'y témoigne pour les Arts qu'ils profeffent, leur fera voir que c'est uniquement par la crainte de repeter trop foyvent la même chofe, que je ne joins pas toujours au nom d'Artifan le mot d'ilJuftre ou quelqu'autre épithete convenable. Le deffein de leur être utile, eft même un des motifs qui m'engagent à publier ces Reflexions que je donne comme les reprefentations d'un fimple citoien qui fait ufage des exemples ti rez des tems paffez, dans le deffein de porter la Republique à pourvoir encore

thieux à l'avenir. S'il m'arrive quelquefois d'y prendre le ton de Legiflateur, c'eft par inadvertance, & non point parce que je me figure d'en avoir l'autorité.

SECTION 1.

De la neceffité d'être occupé pour fuir l'ennui, & de l'attrait que les mouvemens des paffions ont pour les hommes.

Es hommes n'ont aucun plaifir na→ turel qui ne foit le fruit du befoin, & c'eft peut-être ce que Platon vouloit donner à concevoir, quand il a dit en fon ftile allegorique, que l'Amour étoit né du mariage du befoin avec l'abondance. Que ceux qui compofent un cours de Philofophie nous expofent la fageffe des précautions que la Providence a voulu prendre, & quels moïens elle a choifi pour obliger les hommes par l'attrait du plaifir à pourvoir à leur propre confervation. Il me fuffit que cette verité foit hors de conteftation pour en faire la bafe de mes raifonnemens. Plus le befoin eft grand, plus le plai

fir d'y fatisfaire eft fenfible. Dans les feftins les plus delicieux, où l'on n'apporte qu'un appetit ordinaire, on ne fent pas un plaifir auffi vif que celui qu'on reffent en appaifant une faim veritable avec un repas groffier. L'art fupplée mal à la nature, & tous les rafinemens ne fçauroient apprêter, pour ainfi dire, le plaifir auffi bien que le befoin.

L'ame a fes befoins comme le corps, & l'un des plus grands befoins de l'homme eft celui d'avoir l'efprit occupé. L'ennui qui fuit bientôt l'inaction de l'ame, eft un mal fi douloureux pour l'homme, qu'il entreprend fouvent les travaux les plus penibles afin de s'épatgner la peine d'en être tourmenté.

Il eft facile de concevoir comment les travaux du corps, même ceux qui femblent demander le moins d'applica tion, ne laiffent pas d'occuper l'ame. Hors de ces occafions elle ne fçauroit être occupée qu'en deux manieres. Ou l'ame fe livre aux impreffions que les objets exterieurs font fur elle; & c'eft ce qu'on appelle fentir ou bien elle s'entretient elle-même par des fpeculations fur des matieres, foit utiles, foit curieuses; & c'eft ce qu'on appel

le reflechir & mediter.

L'ame trouve penible, & même impraticable quelquefois, cette feconde maniere de s'occuper; principalement quand ce n'eft pas un fentiment actuel ou recent qui eft le fujet des Reflexions. Il faut alors que l'ame faffe des efforts continuels pour fuivre l'objet de fon attention; & ces efforts rendus fouvent infructueux par la difpofition préfente des organes du cerveau, n'aboutiffent qu'à une contention vaine & fterile. Ou l'imagination trop allumée ne préfente plus diftinctement aucun objet, & une infinité d'idées fans liaifon & fans rapport s'y fuccedent tumultueufement l'u ne à l'autre; ou l'efprit las d'être tendu fe relâche; & une rêverie morne & languiflante, durant laquelle il ne joüir précisement d'aucun objet, eft l'unique fruit des efforts qu'il a faits pour s'occuper lui-même. Il n'eft perfonne qui n'ait éprouvé l'ennui de cet état où l'on n'a point la force de penfer à rien, & la peine de cet autre état, où malgré foi l'on pense à trop de chofes, fans pouvoir fe fixer à fon choix fur aucune chofe. Peu de perfonnes mêmes sont affez heureufes pour n'éprouver que rarement un de ces deux états, & pour être

ordinairement à elles-mêmes une bonne compagnie. Un petit nombre peut apprendre cet art qui, pour me fervir de l'expreffion d'Horace, fait vivre en amitié avec foi-même: Quod te tibi red dat amicum. Il faut pour en être capable avoir un certain temperament d'humeurs qui rend ceux qui l'apportent en naiffant auffi obligez à la Providence que les fils aînez des Souverains. Il faut encore s'être appliqué dès la jeunesse à des études & à des occupations dont les travaux demandent beaucoup de meditation. H faut que l'efprit ait contracté l'habitude de mettre en ordre fes idées & de penfer fur ce qu'il lit ; car la lecture où l'efprit n'agit point & qu'il ne foutient pas en faifant des reflexions fur ce qu'il lit, devient bientôt sujette à l'ennui. Mais à force d'exercer fon imagi+ nation on la dompte, & cette faculté renduë docile fait ce qu'on lui demande. On acquiert à force de mediter l'habitude de tranfporter à fon gré fa pensée d'un objet fur un autre, ou de la fixer fur un certain objet.

Cette converfation avec foi-même met ceux qui la sçavent faire à l'abri de l'état de langueur & de mifere dont nous venons de parler. Mais, comme je l'ai

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