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tions qu'elles fçavent faire des objets capables de nous interreffer : la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puiffent faire, c'eft de prendre pour l'objet principal de leur imitation des chofes que nous regarderions avec indifference dans la nature: c'eft d'emploïer leur Art à nous réprefenter des actions qui ne s'attireroient qu'une attention mediocre fi nous les voïions vetitablement. Comment ferons - nous touchez par la copie d'un original incapable de nous affecter? Comment ferons-nous attachez par un tableau qui réprefente un villageois paffant fon chemin en conduifant deux bêtes de fom

me,

fi l'action que ce tableau imite ne peut pas nous attacher? Un conte en vers qui décrit une avanture que nous aurions vûë fans y prendre beaucoup d'interêt, nous interreffera encore moins. L'imitation agit toujours plus foiblement que l'objet imité: (a) Quidquid alteri fimile eft, necesse est minus fit, eò quod imitatur. L'imitation ne fçauroit donc nous émouvoir quand la chose imitée n'eft point capable, de le faire. Les fujets que Teniers, Wowermans & les autres Peintres de ce genre ont ré(a)` Quintil. Inft, lib. 10, cap.iz.

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prefentez, n'auroient obtenu de nous qu'une attention très-legere. Il n'eft rien dans l'action d'une fête de village ou dans les divertiffemens ordinaires d'un corps de garde qui puiffe nous émouvoir. Il s'enfuit donc que l'imitation de ces objets peut bien nous amufer durant quelques momens, qu'ella peut bien nous faire applaudir aux talens que l'ouvrier avoit pour l'imitation, mais elle ne fçauroit nous toucher. Nous loüons l'art du Peintre à bien imiter mais nous le blâmons d'avoir choili pour l'objet de fon travail des fujets qui nous intereffent fi peu.

Le plus beau païfage, fut-il du Tirien & du Carrache, ne nous émeut pas plus que le feroit la vûë d'un canton de païs affreux ou riant: il n'eft rien dans un pareil tableau qui nous entretienne, pour ainfi dire; & comme il ne nous touche gueres, il ne nous attache pas beaucoup. Les Peintres intelligens ont fi bien connu, ils ont fibien fenti cette verité, que rarement ils ont fait des païfages deferts & fans figures. Ils les ont peuplez, ils ont introduit dans ces tableaux un fujet compofé de plufieurs perfonnages dont l'action fûr capable de pous émouvoir & par confequent de

nous attacher. C'est ainsi qu'en ont ufé le Pouffin, Rubens & d'autres grands Maîtres qui ne fe font pas contentez de mettre dans leurs païfages un homme qui paffe fon chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché. Ils y placent ordinairement des figures qui penfent, afin de nous donner lieu de penfer; ils y mettent des hommes agitez de paffions, afin de reveiller les nôtres & de nous attacher par cette agitation. En effet on parle plus fouvent des figures de ces tableaux que de leurs terraffes & de leurs arbres. Le païfage que le Pouffin a peint plufieurs fois, & qui s'appelle communément l'Arcadie, ne feroit pas fi vanté s'il étoit fans figures.

Qui n'a point entendu parler de cette fameufe contrée qu'on imagine avoir été durant un tems le fejour des habitans les plus heureux qu'aucune terre ait jamais portez? hommes toujours occupez de leurs plaifirs, & qui ne connoiffoient d'autres inquietudes, ni d'autres malheurs que ceux qu'effuient dans les Romans ces Bergers chimeriques dont on veut nous faire envier la condition. Le tableau dont je parle réprefente le païlage d'une contrée riante.

Au milieu l'on voit le monument d'une jeune fille morte à la fleur de fon âge : c'eft ce qu'on connoît par la ftatuë de cette fille couchée fur le tombeau à la maniere des anciens. L'inscription fepulcrale n'eft que de quatre mots Latins: Je vivois cependant en Arcadie, Et in Arcadia ego. Mais cette infcription fi courte fait faire les plus ferieuses reflexions à deux jeunes garçons & à deux jeunes filles parées de guirlandes de fleurs, & qui paroiffent avoir rencontré ce monument fi trifte en des lieux où l'on devine bien qu'ils ne cherchoient pas un objet affligeant. Un d'entre eux fait remarquer aux autres cette inscription en la montrant du doigt, & l'on ne voit plus fur leurs vifages, à travers l'affliction qui s'en empare, que les reftes d'une joïe expirante. On s'imagine entendre les reflexions de ces jeunes perfonnes fur la mort qui n'épargne ni l'âge, ni la beauté, & contre laquelle les plus heureux climats n'ont point d'azile. On fe figure ce qu'elles vont se dire de touchant lorfqu'elles feront revenues de la premiere surprise, & l'on l'applique à foi-même & à ceux pour qui l'on s'intereffe.

Il en eft de la Poëfie comme de la

Peinture, & les imitations que la Poëfie fait de la nature nous touchent feulement à proportion de l'impreffion que la chofe imitée feroit fur nous, fi nous la voïions veritablement. Un conte en vers dont le fujet ne feroit point plaifant par lui-même, ne feroit rire perfonne quelque bien verfifié qu'il pût être. Quand Line Satire ne met pas dans un beau jour quelque verité dont j'avois déja un fentiment confus, quand elle ne contient pas de ces maximes dignes de paffer inceffamment en proverbes à caufe du grand fens qu'elles renferment en abregé, je puis tout au plus la louer d'être bien écrite; mais je n'en retiens rien, & j'ai auffi peu d'envie de la vanter que de la relire. Si le trait de l'Epigramme n'eft pas vif, fi le fujet n'en eft pas tel qu'on l'écoutât avec plaifir, quand même il feroit raconté en profe, l'Epigramme, quoique bien verfi

fiée & rimée richement, ne fera retenuë de perfonne. Un Poëte Dramatique qui met fes perfonnages en des fituations qui font fi peu interreffantes, que j'y verrois réellement des perfonnes de ma connoiflance fans être bien ému, ne m'émeut gueres en faveur de fes perfonnages. Comment la copie me

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