페이지 이미지
PDF
ePub

livre foit bon dans le fonds pour fe foutenir, mais s'il eft tel, s'il merite de plaire à tous les hommes, l'interêt particulier le fait connoître beaucoup plûtôt. Un bon livre fait à la faveur de cet interêt, une fortune & plus prompte & plus grande. D'ailleurs il eft des interêts de rapport qui subsistent longtems & qui peuvent concilier à un ouvrage durant plufieurs fiecles l'attention particuliere d'un grand nombre de perfonnes. Tel eft l'interêt que prend une Nation au Poëme qui décrit les princi paux évenemens de fon Hiftoire, & qui parle des villes, des fleuves & des édifices fans ceffe préfens à fes yeux. interêt particulier auroit fait réuffir la Pucelle de Chapelain, fi le poëme n'eut été que mediocre,

Cet

Il eft vrai que toutes les Nations de l'Europe lifent encore l'Eneide de Virgile avec un plaifir infini, quoique les objets que ce poëme décrit ne foient plus fous leurs yeux, & quoiqu'elles ne prennent pas le même interêt à la fondation de l'Empire Romain que les con temporains de Virgile, dont les plus confiderables fe difoient encore defcendus des Heros qu'il chante. Les fêtes, les Fombats & les lieux dont il parle ne font

connus à plufieurs de fes Lecteurs que par ce que lui-même en raconte. Mais l'Eneide, l'ouvrage du Poëte le plus accompli qui, jamais ait écrit, a, pour ainsi dire, des moïens de refte de faire fortune. Quoique ce poëme ne nous touche plus que parce que nous fommes des hommes, il nous touche encore affez pour nous attacher: mais un Poëte ne fçauroit promettre à fes ouvrages une fortune pareille à celle de l'Eneïde, qui eft celle de toucher fans cet interêt qui a un rapport particulier au Lecteur, à moins d'une grande préfomption, principalement s'il compofe en François. C'eft ce que je tâcherai d'expliquer plus au long dans la fuite de cet écrit.

Ma feconde reflexion fera fur l'injuftice des jugemens temeraires qu'on porte quelquefois en taxant de menfonge ce que difent les anciens du fuccès prodigieux de certains ouvrages, & cela parce qu'on ne fait pas attention à l'interêt particulier que prenoient à ces ouvrages ceux qui leur ont tant applau di. Par exemple, ceux qui s'étonnent que Cefar ait été déconcerté en écou tant l'Oraifon de Ciceron pour Ligarius, & le Dictateur fe foit oublié luimême jufqu'à laiffer tomber par un mou

que

vement involontaire des papiers qu'il tenoit entre ses mains. Ceux qui difent qu'après avoir lû cette Oraifon ils cherchent encore l'endroit qui fut capable de frapper fi vivement un homme tel que Cefar, parlent en Grammairiens qui n'ont jamais étudié que la langue des hommes, & qui n'ont point acquis la connoiffance des mouvemens de leur cœur. Qu'on fe mette en la place de Cefar, & l'on trouvera fans peine cet endroit. On concevra bientôt com ment le Vainqueur de Pharfale, qui fur le champ de bataille même avoit embraffé fon énnemi vaincu comme fon concitoïen, a pu fe laiffer toucher par la peinture de cet évenement que fait Ciceron, au point d'oublier qu'il fut af fis fur un Tribunal.

Revenons à l'interêt general & aux fujets où il fe trouve, & qui par là font pro pres à toucher tout le monde. Les Pein tres & les Poëtes, je l'ai déja dit, n'en doivent traiter que de tels. Il eft vrai que ces Artifans fçavent enrichir leurs fujets, ils peuvent rendre les fujets qui font naturellement denuez d'interêt, des fujets intereffans: mais il arrive plufieurs inconveniens à traiter de ces fujets qui tirent tout leur pathétique de l'inven

tion de l'Artifan. Un Peintre, & principalement un Poëte qui traite un fujet fans interêt, n'en peut vaincre la fterilité, il ne peut jetter du pathetique dans l'action indifferente qu'il imite qu'en deux manieres: ou bien il embellit cette action par des Episodes, ou bien il change les principales circonftances de cette action. Si le parti que le Poëte choifit eft celui d'embellir fon action par des Episodes, l'interêt qu'on prend à ces Epifodes ne fert qu'à faire mieux fentir la froideur de l'action principale, & on lui reproche d'avoir mal rempli fon titre. Si le Poëte change les principales circonftances de l'action que nous devons fuppofer être un évenement generale. ment connu, fon Poëme ceffe d'être vraisemblable. Un fait ne fçauroit nous paroître vraisemblable quand nous fommes informez du contraire par des témoins dignes de foi: c'eft ce que nous expoferons plus au long quand nous ferons voir que toute forte de fiction n'est pas permife en Poëfie, non plus qu'en

Peinture.

Que les Peintres & les Poëtes examinent donc ferieusement fi l'action qu'ils veulent traiter nous toucheroit fenfiblement, fuppofé que nous la viffions,

[ocr errors]

Diiij

& qu'ils foïent perfuadez que fon imitation nous affectera encore moins. Qu'ils ne s'en rapportent pas même uniquement à leur propre difcernement, en une décision tellement importante au fuccès de leurs ouvrages. Avant que 'de s'affectionner à leurs fujets, avant, pour ainfi dire, que d'époufer leurs perfonnages, qu'ils confultent leurs amis: c'eft le tems où ils en peuvent recevoir les avis les plus utiles. L'imprudence eft grande d'attendre à demander avis fur un bâtiment, qu'il foit déja forti de terre, & qu'on ne puiffe plus rien changer dans l'effentiel de fon plan fans renverser la moitié d'un édifice déja conftruit.

SECTION XIII.

Qu'il eft des fujets propres Specialement pour la Poëfie, & d'autres fpecialement propres pour la Peinture. Moiens de les reconnoître.

On feulement le fujet de l'imitation doit être intereffant par luimême, mais il faut encore le choifir

« 이전계속 »