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Convenable à la Peinture, fi l'on veut en faire un tableau, & convenable à la Poëlie quand on veut le traiter en vers. Il eft des fujets plus avantageux pour les Peintres que pour les Poëtes, comme il en eft qui font plus avantageux pour les Poëtes que pour les Peintres. C'est ce que je vais tâcher d'exposer après avoir prié qu'on me pardonne un peu de longueur dans cette difcuffion. Il m'a paru qu'il falloit m'étendre pour être plus intelligible..

Un Poëte peut nous dire beaucoup de chofes qu'un Peintre ne fçauroit nous faire entendre. Un Poëte peut exprimer plufieurs de nos penfées & plufieurs de nos fentimens qu'un Peintre ne fçauroit rendre, parce que ni les uns, ni les autres ne font pas fuivis d'aucun mouvement propre & fpecialement marqué dans notre attitude, ni précisement caracterisé fur notre vifage. Ce que Cornelie dit à Cefar en venant lui découvrir la conjuration qui l'alloit faire petir dans une heure, 1

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L'exemple que tu dois periroit avec toi. ne peut être rendu par un Peintre. Il peut bien, en donnant à Cornelie une contenance convenable à fa fituation & à fon caractere, nous donner quelque

idée de fes fentimens, & nous faire con noître qu'elle parle avec une grande dignité; mais la pensée de cette Romaine, qui veut que la mort de l'oppreffeur de la Republique foit un fupplice qui puiffe épouvanter ceux qui voudroient attenter fur la liberté, & non pas un crime déteftable, ne donne point de prife au pinceau. Il n'eft pas d'expreffion pittorefque qui puiffe articuler pour ainfi dire, les paroles du vieil Horace, quand il répond à celui qui lui demandoit ce que fon fils pouvoit faire feul contre trois combattans: Qu'il mourût. Un Peintre peut bien faire voir qu'un homme eft ému d'une certaine paffion, quand même il ne le dépeint pas dans l'action, parce qu'il n'eft pas de paffion de l'ame qui ne foit en même tems une paffion du corps. Mais ce que la colere fait penfer de fingulier fuivant le caractere propre de chacun, & fuivant les circonftances où il fe rencontre, ce qu'elle fait dire de fublime, par rapport à la fituation du perfonnage qui parle, il eft très-rare que le Peintre puiffe l'exprimer affez intelligiblement pour être entendu.

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Par exemple, le Pouffin a bien pu dans fon tableau de la mort de Germa

nicus exprimer toutes les efpeces d'afflition dont la famille & fes amis furent penetrez, quand il mourut empoisonné entre leurs bras; mais il ne lui étoit pas poffible de nous rendre compte des derniers sentimens de ce Prince si propres à nous attendrir. Un Poëte le peut faire il peut lui faire dire: Je ferois en droit de me plaindre d'une mort auffi prématurée que la mienne, quand bien même elle arriveroit par la faute de la nature; mais je meurs empoifonné: pourfuivez donc la vengeance de ma mort, & ne rougiffez point de vous faire délateurs pour l'obtenir. La compaffion du public fera du côté de pareils accufateurs. Un Peintre ne fçauroit exprimer la plupart de ces fentimens ; il ne peut encore peindre dans chaque tableau qu'un des fentimens qu'il lui eft poffible d'exprimer. Il peut bien, pour donner à comprendre le foupçon qu'avoit Germanicus que Tibere fut l'auteur de fa mort, faire montrer par Germanicus à fa femme Agrippine une statuë de Tibere avec un gefte & avec un air de vifage propres à caracteriser ce fentiment; mais il faut qu'il emploïe tout fon tableau à l'expreffion de ce fentiment là,

Comme le tableau qui réprefente unë action, ne nous fait voir qu'un inftant de fa durée, le Peintre ne fçauroit atteindre au fublime que les chofes qui ont precedé la fituation préfente jettent quelquefois dans un fentiment ordinaire. Au contraire la Poëfie nous décrit tous les incidens remarquables de l'action qu'elle traite, & ce qui s'eft paflé jette fouvent du merveilleux fur une chofe fort ordinaire qui fe dit ou qui arrive dans la fuite. C'eft ainfi que la Poëfie peut emploïer ce merveilleux qui naît des circonftances, & qu'on appel-· lera fi l'on veut un fublime de rapport. Telle eft la faillie du Mifantrope qui, rendant un compte ferieux des raifons qui l'empêchent de s'établir à la Cour, ajoute après une déduction des contraintes réelles & gênantes qu'on s'épargne en n'y vivant point.

On n'a pas à louer les vers de Meffieurs tels.

le ca

Cette penfée devient fublime par ractere connu du perfonnage qui parle, & par la procedure qu'il vient d'efluier, pour avoir dit que des vers mauvais ne valoient rien.

Il eft encore plus facile, fans comparaifon, au Poëte qu'au Peintre de nous

affectionner à fes perfonnages, & de nous faire prendre un grand interêt à leur deftinée. Les qualitez exterieures comme la beauté, la jeunesse, la majefté & la douceur que le Peintre peut donner à fes perfonnages, ne fçauroient nous intereffer à leur deftinée autant que les vertus & les qualitez de l'ame que le Poëte peut donner aux fiens. Un Poëte peut nous rendre prefqu'auffi fenfibles aux malheurs d'un Prince, dont nous n'entendîmes jamais parler, qu'aux malheurs de Germanicus, & cela par le caractere grand & aimable qu'il donnera au Heros inconnu qu'il voudra nous rendre cher. Voilà ce qu'un Peintre ne fçauroit faire il eft réduit à fe fervir pour nous toucher, de perfonnages que nous connoiffons déja: fon grand merite eft de nous faire reconnoître fûrement & facilement ces perfonnages. C'eft un chef-d'œuvre du Pouffin que de nous avoir fait reconnoître Agrippine dans fon tableau de la mort de Germanicus avec autant d'efprit qu'il l'a fait. Après avoir traité les differens genres d'affliction des autres perfonnages du tableau comme des paffions qui pouvoient s'exprimer, il place à côté du lit de Germanicus une femme noble par fa

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