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cependant cette affliction doit se manifelter differemment en chaque fpectateur, fuivant l'obfervation que nous venons de faire. Or le Poëte ne fçauroit rendre cette diverfité fenfible dans fes vers. S'il le fait fur la fcene, c'est à l'aide de la déclamation, c'eft par le secours du jeu muet des Acteurs.

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On conçoit facilement comment un Peintre varie par l'âge, le fexe, la trie, la profeffion & le temperament, la douleur de ceux qui voïent mourir Germanicus; mais on ne conçoit point comment un Poëte Epique, par exemple, viendroit à bout d'orner fon Poëme par cette varieté, fans s'embaraffer dans des defcriptions qui rendroient fon ou vrage ennuïeux. Il faudroit qu'il commençât par un détail fatiguant de l'âge, du temperament, & même du vêtement des perfonnages qu'il veut introduire à fon action principale. On ne lui pardonneroit jamais une énumeration pareille; s'il fait cette énumeration dans fes premiers livres, le Lecteur ne s'en fou viendra plus, & il ne fentira pas les beautez dont l'intelligence dépend de ce qu'il aura oublié; s'il fait cette énumeration immediatement avant la cataftro phe, elle deviendra un retardement inj

fupportable. D'ailleurs la Poëfie manque d'expreffions propres à nous inftruire de la plus grande partie de ces circonftances. A peine la Phyfique viendroit-elle à bout, avec le fecours des termes qui lui font propres, de bien expliquer le temperament plus ou moins compofé, & le caractere de chaque fpectateur. Pour faire concevoir fans peine & diftinctement tous ces détails, il faut les exposer aux yeux.

Au contraire rien n'est plus facile au Peintre intelligent que de nous faire connoître l'âge, le temperament, le fexe, la profeffion, & même la patrie de fes perfonnages, en fe fervant des habillemens, de la couleur des chairs, de celle de la barbe & des cheveux, de leur longueur & de leur épaiffeur, comme de leur tournure naturelle, de l'habitude du corps, de la contenance, de la figure de la tête, de la phyfionomie, du feu, du mouvement & de la couleur des yeux, & de plufieurs autres chofes qui rendent le caractere d'un perfonnage reconnoiffable par fentiment. La nature a mis en nous un inftinct, pour faire le difcernement du caractere des hommes, qui va plus vite & plus loin que ne peuvent aller nos reflexions fur les indi

ees & fur les lignes fenfibles de ces caraêteres. Or cette diverfité d'expreffion imite merveilleufement la nature qui, nonobftant fon uniformité, eft toujours marquée dans chaque fujet à un coin particulier. Où je ne trouve pas cette diverfité, je ne vois plus la nature & je reconnois l'Art. Le tableau dans lequel plufieurs têtes & plufieurs expreffions font les mêmes, ne fut jamais fait d'après la nature.

Le Peintre ne trouve donc aucune op pofition du côté de la mécanique de fon Art à mettre dans chaque expreffion un caractere particulier. Il arrive même fouvent que le Peintre, en operant comme Poëte, fe fuggere à lui-même comme colorifte & comme deffinateur des beautez qu'il n'auroit point rencontrées s'il n'avoit point eu des idées Poëtiques à exprimer. Une invention en fait éclore une autre. Des exemples rendront encore notre reflexion plus facile à con

cevoir.

Tout le monde connoît le tableau de Raphaël, où Jefus - Chrift confirme à faint Pierre le pouvoir des clefs en préfence des autres Apôtres : c'eft une des pieces de tapifferies de la tenture des Actes des Apôtres que le Pape Leon X,

fit faire pour la Chapelle de Sixte IV. & dont les cartons originaux se conservent dans la Galerie du Palais que Marie Stuard Princeffe d'Orange fit bâtir à Hamptoncourt. Saint Pierre tenant ces clefs eft à genouil devant Jefus-Christ, & il paroît penetré d'une émotion conforme à fa fituation: fa reconnoiffance & fon zele pour fon Maître paroiffent fenfiblement fur fon vifage. Saint Jean l'Evangelifte réprefenté jeune comme il l'étoit, eft dépeint avec l'action d'un jeune homme: il applaudit avec le mouvement de franchise fi naturel à fon âge au digne choix que fait fon Maître, & qu'on croit appercevoir qu'il eut fait luimême, tant la vivacité de fon approbation eft bien marquée par un air de vifage & par un mouvement du corps très-empreffé. L'Apôtre qui eft auprès de lui femble plus âgé & montre la phyfionomie & la contenance d'un homme pofé: auffi, conformement à fon caractere, applaudit-il par un fimple mouvement des bras & de la tête. On diftingue à l'extremité du grouppe un homme bilieux & fanguin: il a le vifage haut en couleur, la barbe tirante fur le roux, le front large, le nez quarré & tous les traits d'un homme fourcil

leux. Il regarde donc avec dedain, & en fronçant le fourcil, une préference qu'on devine bien qu'il trouve injufte. Les hommes de ce temperament croïent volontiers ne pas valoir moins que les autres. Près de lui eft placé un autre Apôtre embaraffé de la contenance: on le difcerne pour être d'un temperament mélancolique à la maigreur de fon vifage livide, à fa barbe noire & plate, à l'habitude de fon corps, corps, enfin à tous les traits que les naturalistes ont affignez à ce temperament. Il fe courbe, & les yeux fixement attachez fur Jefus-Chrift, il eft devoré d'une jalousie morne pour un choix dont il ne fe plaindra point, mais dont il conservera longtems un vif reflentiment: enfin on reconnoît là Judas auffi diftinctement, qu'à le voir pendu au figuier une bourse renversée au col.

Je n'ai point prêté d'efprit à Raphaël, & je doute même qu'il foit poffible de pouffer l'invention poëtique plus loin que ce grand Peintre l'a fait dans les tableaux de fon bon tems. Une autre piece de la même tenture réprefente faint Paul annonçant aux Atheniens ce Dieu auquel ils avoient dreffé un autel fans le connoître, & Raphaël a fait de

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