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laquelle on cherche à retirer du parti de l'incrédulité les noms des hommes de talent. S'il est vrai, cependant, que des hommes distingués, quelquesuns par leur esprit profond et original, d'autres par leur pénétration, d'autres par leur prudence et leur bon sens dans les choses pratiques, ont été néanmoins indifférents au sujet de la religion révélée, pourquoi voudrions-nous le déguiser? Pourquoi, sinon parce que nous avons de fausses notions sur la connexion qui existe entre l'intelligence et le principe moral. Cependant, n'est-ce pas un fait, pour la preuve ou la réfutation duquel nous n'avons pas besoin de recourir à l'histoire ou à la philosophie, le plus humble village pouvant nous montrer que les personnes qui, comme on dit, tournent mal, qui enfreignent d'abord les lois générales de la société, puis celles de leur pays, sont communément les hommes doués par la nature de dons intellectuels plus qu'ordinaires. Sans m'arrêter ici à en donner la raison, c'est, à mon avis, une forte preuve que les facultés de l'intelligence (telles, du moins, qu'en fait elles se rencontrent parmi nous) ne nous font pas marcher nécessairement dans la direction de nos instincts moraux, et que ceux-ci peuvent se passer de leur confirmation; or, si leur union n'est qu'un effet accidentel, quel témoignage nous apporte la raison toute seule, en faveur des vérités de la religion?

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VIII

Notre nature étant composée de plusieurs facultés, pourquoi serions-nous surpris que l'une d'elles fût

dans l'impossibilité de faire ce à quoi une autre est destinée? Que l'esprit qui s'est uniquement exercé sur des sujets littéraires ou scientifiques, et n'a jamais été sous l'influence de perceptions divines, ne soit pas apte à la contemplation d'une révélation morale, c'est aussi peu étrange que son impuissance à remplir les fonctions des sens. Il y a une grande analogie entre ces deux cas. Notre raison est, en différentes manières, l'auxiliaire des sens; elle en dirige l'application, et coordonne les preuves qu'ils fournissent. Elle fait usage des faits qui sont dans leur dépendance, en déduit à volonté des conclusions, voit à l'avance ceux qui demandent à être prouvés, et confirme les douteux; mais celui qui, confiant dans la puissance de son talent, négligerait les faits, mériterait le nom de théoricien ; et l'aveugle qui annoncerait sérieusement une leçon sur la lumière et les couleurs, pourrait à peine espérer d'être écouté. Or, supposez qu'il la donne, qu'auraiton droit d'attendre de lui? Partant des termes scientifiques qui formeraient le fondement et la matière de son système, au lieu de saisir des faits, sa pénétration et son imagination vive lui ouvrant une libre carrière à travers le champ de la science, il pourrait discourir avec une élocution facile, et nous faire presque oublier qu'il a le malheur d'être privé de la vue; enfin, il tomberait tout à coup dans quelque grande et inexprimable méprise, trahi au milieu de sa course par une expression malheureuse, que, par mégarde, il a poussée trop loin, ou sur laquelle il a trop appuyé ; et nous trouverions qu'il n'y avait pas de correspondance entre ses mots et ses idées. Témoins de son erreur, nous la jugerions avec indul

gence, et, afin d'adoucir notre critique, nous observerions que, pour un aveugle, il a singulièrement bien développé son sujet.

IX

Tel serait le sort de l'officieuse raison, s'ingérant dans le domaine des sens. A la place subordonnée qu'elle y doit occuper, elle n'agit que comme un instrument; elle ne fait qu'aider les sens et rendre leur opération plus prompte, en leur sauvant la perte du temps et l'embarras. Donnez à un homme cent yeux et cent mains pour la science naturelle, et vous le rendez matériellement indépendant du ministère de la raison.

X

Ce que je viens de dire, qu'on veuille bien y faire attention, n'offre pas une parité complète avec la vérité qui me l'a suggéré, car la couleur et la lumière sont du moins saisissables au moyen des définitions scientifiques, et, par conséquent, du ressort de l'intelligence, beaucoup plus que les choses morales. Cependant, appliquez la comparaison telle qu'elle est au sujet en question, non pas, cela va sans dire, dans le but extravagant de bannir de toute investigation religieuse l'usage de la raison, mais pour marquer quelle est sa place réelle dans la conduite de ces investigations. Pour rendre cela clair, je voudrais encore ajouter deux observations: La première, que nous devons mettre à l'écart l'appui

indirect que prête à la révélation la partie intelligente du genre humain ; je veux dire, par voie d'influence. La réputation méritée par le talent, le savoir, la connaissance scientifique, a naturellement droit à nos hommages, et nous inspire un respect dont nous ne saurions nous défendre. Il en est de même du pouvoir; et, sous ce rapport, le pouvoir, comme les dons de l'intelligence, est nécessaire au maintien de la religion, pour amener le genre humain à l'écouter sur un sujet qui ne lui est point agréable; mais là doit se borner son action; s'il va plus loin il outrepasse ses droits et n'est plus qu'un persécuteur déguisé; ici la comparaison est rigoureuse; vouloir faire croire les hommes à force d'arguments, c'est aussi absurde que de les contraindre à croire par la

torture.

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Mais en fait, dira-t-on, la raison peut aller plus .loin; car nous pouvons raisonner sur la religion, et en discuter les preuves. Ici donc, j'observe, en second lieu, qu'il nous faut déduire de l'usage réel de la raison dans les investigations religieuses, tout ce qui n'est que le pur redressement de ses propres méprises. Il était possible à l'aveugle qui, par le raisonnement. tombait dans des erreurs d'optique, de s'en garantir par le raisonnement; toutefois, cela ne prouverait pas la nécessité ou l'utilité d'une grande subtilité pour la science expérimentale elle-même. Elle n'était nécessaire que pour un aveugle, c'està-dire, en supposant qu'il voulût faire ce dont tout

d'abord il aurait dû s'absenir. Or, si nombreuses et si grandes ont été, sur les sujets religieux, les erreurs des hommes systématiques (je veux dire de ceux qui se sont jetés dans des spéculations sans se soucier d'agir d'après les inspirations de leur bon sens, ou ont appuyé leur cause sur de purs arguments, au lieu de chercher à en contempler directement le sujet), que, pour les rectifier, il a fallu à la raison le travail le plus opiniâtre et le plus subtil, et presque tous ses efforts réunis. Malheureusement un maître aveugle en morale peut réunir un auditoire aveugle, auquel il lui est permis de débiter sans risque ses paradoxes, qui sont admis quelquefois même par des hommes religieux, eu égard à ces heureuses conjectures que sa raison pénétrante forme de temps en temps, et qu'ils trouvent justes. De là, quelle inexprimable confusion entre le mensonge et la vérité, dans les systèmes, les partis, les personnes! Quel talent surhumain ne faut-il pas pour démêler les fils de ce tissu bariolé et embrouillé, et combien de reconnaissance ne doit-on pas à l'homme privilégié qui, par son savoir ou sa philosophie, achève en partie la tâche ! Dans ce cas, faut-il être reconnaissant envers la raison et la célébrer comme principe de recherches? Non, car elle répare seulement ses propres méfaits, et redresse, d'une façon misérable et tardive, le tort qu'elle a eu de s'introduire dans un domaine qui n'est pas le sien. Mais celui qui mérite de la reconnaissance, c'est l'homme, c'est l'être moral, qui a soumis la raison dans sa propre personne aux principes les plus élevés de sa nature.

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