nier toute certitude et qu'enfin, pour être conséquent avec lui-même, il devrait ou cesser de croire ou brûler ses livres. Telle est l'accusation. J'ai rassemblé dans le présent volume tous les éléments de la réponse, et je pense, qu'après avoir discuté les pièces essentielles du procès. plus d'un lecteur priera Dieu de vouloir bien envoyer à son Eglise, beaucoup de sceptiques comme Newman. Celui-ci d'ailleurs ne demandait pas à ses théories de suffire aux exigences des logiciens, mais simplement au besoin des âmes. La vie est brève et la philosophie n'en finit jamais. En attendant il faut agir, il faut croire. Si nous voulons un échafaudage pour soutenir l'édifice de notre foi, en voici un, fragile peutêtre mais assez solide pour rester debout jusqu'au terme de notre courte existence. « Lisez Huysmans, écrivait récemment un prêtre admirable... il est l'ennemi né de la raison et de la science, mais c'est un brave cœur comme vous qui a trouvé Dieu par où il a pu... (1) » Hélas, est-ce donc si facile de trouver Dieu », qu'il y ait grande urgence à barrer n'importe lequel des chemins qui pratiquement mènent à lui! « On dira que la méthode n'est pas logique, je réponds qu'elle aboutit. Si la logique s'en offusque, eh bien, tant pis pour la logique! » (2)

Lettres de Mgr d'Hulst, éditées par le R. P. Baudrillart.
G. A. p. 403.

PSYCHOLOGIE DE LA FOI

CHAPITRE PREMIER

DE LA MÉTHODE

Une argumentation abstraite est toujours dangereuse... pour moi j'aime mieux m'en tenir aux faits (1). » Des faits, et rien que des faits, c'est la devise de l'esprit anglais, et de Newman lui-même tout le long de la vaste enquête religieuse qu'il a continuée en plus de trente ouvrages. A cette consigne. il se montre presque constamment fidèle. En deux mots, voici son attitude d'esprit : Les traités de la foi, les ouvrages d'apologétique abondent, mais il y a quelque chose d'antérieur à tous ces livres, c'est le fait même de la foi. Expliqué ou non, logique ou non, conforme ou non aux exigences des théoriciens, ce fait est indéniable. Des multitudes croient, moi, Newman, je crois. D'ailleurs, il n'est pas probable que ces innombrables bonnes volontés croient de travers. Au lieu donc de disserter a priori, prenons ce fait lui-même et décrivons-le aussi exactement que possible. Si notre analyse est exacte, nous aurons grand'chance d'avoir montré non ce que devrait être la foi dans un monde de philoso

(1) G. A. p. 153. Cf. ib. 157 et 209 et en vingt autres endroits du même livre.

phe, mais ce qu'elle doit être dans le plan actuel de la Providence qui, dans ses dispositions, ne semble pas avoir eu un extrême souci de faire la part belle aux philosophes. En tous cas, pour moi, je me contente de l'homme tel que Dieu l'a créé, du croyant tel que Dieu le bénit, de la foi telle que je la rencontre dans l'ensemble des croyants. Il se bornera donc à réunir, à ordonner, à interpréter des faits d'expérience. Quelle expérience étudiera-t-il plus habituellement? Celle dont il est tout à fait sûr, à savoir la sienne propre. Toute son œuvre apologétique revient à dire : voilà comment je vois, je comprends et je sens les choses: comment chez moi, la foi, tout en étant raisonnable et puisque aussi bien je suis prêtre

et docteur, capable de fournir ses preuves se passe néanmoins de la raison raisonnante: voilà quels sont à mes yeux et dans ma vie personnelle le sens et la valeur des formules de foi. Est-ce vanité de se mettre ainsi en scène, non, c'est modestie, Newman s'en explique au commencement du dernier chapitre de la Grammar of assent, la dernière œuvre qu'il ait écrite ex professo sur ce grand sujet. Cette page s'applique à tout le reste de son œuvre et il convient de la placer ici, dès le début, pour qu'on sache nettement ce que nous devons attendre de lui. Au premier abord ce qu'il va dire paraîtra un truisme, car enfin on n'imagine pas ce que pouvait bien être une psychologie a priori. Il faut cependant et de l'originalité et du courage pour avancer certains truismes, et comme chacun le voit, cette simple question de méthode est ici d'une importance capitale.

En commençant je dois exprimer un sentiment qui me hante à chaque fois que j'applique mon esprit à l'étude des sciences mentales ou morales. En toutes recherches de ce genre, être égotiste est la seule façon de rester modeste. Cela est vrai, avant tout de

la métaphysique (1) et de l'éthique, mais on peut le dire aussi de la science des preuves de la religion. Dans toute recherche religieuse personne ne peut parler que de lui-même; personne n'a le droit de parler que pour lui-même. Ses propres expériences lui suffisent, mais il ne peut parler pour les autres, et établir des lois générales. Il n'a que le droit d'apporter ses expériences personnelles à la masse commune des faits psychologiques. Ce qui l'a convaincu, ce qui le satisfait encore, voilà ce qu'il sait. Si cela l'a convaincu, il est vraisemblable que cela en convaincra d'autres que lui; si cela est la vérité, comme il le croit, comme il en est sûr, cela en convaincra d'autres aussi, puisqu'enfin il n'y a qu'une vérité. En fait d'ailleurs, il remarque, à n'en pas douter, que, si l'on tient compte des différentes sortes d'esprit et des différentes façons de parler, ce qui l'a convaincu, en convainc d'autres aussi. Il y aura beaucoup d'exceptions, mais toutes pourront s'expliquer. Un grand nombre d'hommes refusent de faire aucune recherche. Ils mettent tout à fait de côté les questions religieuses. D'autres n'ont pas assez de sérieux pour donner un peu d'attention aux problèmes de la vérité et du devoir. Enfin, soit tempérament, soit absence de doute, soit torpeur intellectuelle, une foule d'hommes ne songent même pas à se demander ce qu'ils croient ni pourquoi ils croient. Beaucoup

1) Newman a répété souvent qu'il n'était pas métaphysicien. On le voit bien à cette courte ligne qui ressemble fort à une boutade. Il est bien clair que, en plaçant la métaphysique au rang des sciences d'expérimentation personnelle, et au premier rang, il va contre la définition commune de cette science. Utrum jure? est une question qui n'est pas de ma compétence.