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nière admirable dont le poëte fait parler Hippolyte à son père pour sa justification. Il a surpassé Euripide en l'imitant dans cette scène, dont je ne rapporterai rien pour ne pas trop multiplier les citations. Il est sûr que tout ce que dit Hippolyte porte un caractère de vérité qui semblerait devoir faire plus d'impression sur Thésée, et l'empêcher de prononcer si promptement ses fatales imprécations. Mais, d'un autre côté, le poëte peut se justifier en disant que Thésée est dans le premier transport de sa colère; que le trouble de la reine en l'abordant, ses paroles équivoques, le rapport d'OEnone, l'épée d'Hippolyte demeurée entre les mains de Phèdre, doivent faire sur lui d'autant plus d'impression, que, pour ne pas croire tant d'indices, il faut qu'il suppose un crime beaucoup plus atroce encore que celui qu'on lui dénonce; et cette dernière raison est si forte, que je n'y connais point de réplique. Ajoutez que cette crédulité de Thésée est consacrée par les traditions mythologiques, qui nous sont si familières, et il se trouvera que, si Thésée nous paraît trop crédule, c'est qu'au fond nous sommes très-fâchés qu'il le soit; et c'est précisément ce que veut de nous le poëte tragique.

Il résulte de toute cette analyse une dernière observation, qui fait également honneur à l'esprit de Racine et au cœur humain. Ce grand homme avait pris sur lui d'inspirer plus de pitié pour Phèdre coupable que pour Hippolyte innocent,

et il en est venu à bout. Pourquoi? En voici, je crois, les raisons. C'est que Phèdre est à plaindre pendant toute la pièce, par sa passion, ses remords et ses combats, et qu'Hippolyte n'est à plaindre que par sa mort. Jusque-là l'on voit et l'on sent que, tout calomnié, tout proscrit qu'il est par son père, il a pour lui le témoignage de sa conscience et l'amour d'Aricie. Phèdre au contraire est malheureuse par son cœur, malheureuse par son crime, et par conséquent malheureuse sans consolation et sans remède; en sorte qu'il n'y a personne qui, dans le fond de son ame, ne préférât le sort d'Hippolyte au sien, et d'autant plus que l'un paraît toujours calme, et l'autre toujours tourmentée. C'est un tableau des malheurs du crime et de ceux de la vertu, et le peintre a mis au bas: Choisissez.

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APPENDICE

A LA SECTION VII.

Phèdre de Pradon.

Depuis dix ans les immortelles tragédies de Racine se succédaient presque d'année en année. Il en passa douze dans une entière inaction depuis l'époque de Phèdre on sait que ce fut celle de l'injustice. On répète sans cesse aux hommes qu'il faut avoir le courage de la mépriser: cet avis est fort bon, mais ce courage est fort difficile. Racine était sensible; il avait cette juste fierté de l'homme supérieur, qui ne peut supporter une concurrence indigne : le déchaînement de ses ennemis et le triomphe de Pradon blessèrent son ame. La mienne répugne à retracer les basses manœuvres que la haine employa contre lui: ce tableau est odieux et dégoûtant, et d'ailleurs les faits sont trop connus. Il suffit de nous rappeler que Racine, à l'âge de trente-huit ans, s'arrêta au milieu de sa carrière, et condamna son génie au silence au moment où il était dans la plus grande force: c'est une obligation que nous avons à l'envie et à Pradon. Il y a long-temps que cet auteur n'est connu que par les traits plaisants que son nom a fournis au satirique français, et

l'on rappelle souvent parmi les scandales littéraires le triomphe passager de sa Phèdre : c'est la seule raison qui fasse citer ce plat ouvrage plus souvent que tant d'autres qui reposent dans un entier oubli. Voltaire s'est amusé à faire un rapprochement de la déclaration d'amour d'Hippolyte dans les deux pièces; et comme tout le monde a lu Voltaire, les vers de Pradon sont aussi célèbres par leur ridicule que ceux de Racine par leur beauté. Je n'en aurais donc point parlé si je n'avais lu dans le Dictionnaire historique, dont j'ai déja cité plus d'un passage tout aussi curieux, que, pour avoir une Phèdre parfaite, il faut le plan de Pradon et les vers de Racine, et si je ne m'étais souvenu d'avoir entendu répéter plusieurs fois le même jugement; car il faut bien se persuader que tout ce qu'on écrit de plus absurde trouve des approbateurs et des échos. D'ailleurs il paraît piquant de donner à un auteur méprisé un avantage sur un grand homme; et bien des gens ne sont pas fâchés de dire, parce qu'ils l'ont lu Ce rimailleur avait pourtant fait un meilleur plan que Racine. Ce n'est pas que ceux qui parlent ainsi aient lu la Phèdre de Pradon : ils redisent ce qu'ils ont entendu dire. Moi, je l'ai lue, et même avec plaisir, car elle m'a fort diverti; et je puis affirmer en sûreté de conscience que le plan est de la même force que les vers. J'ai cru qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à en dire un mot: c'est une espèce d'intermède

:

assez gai à placer au milieu des tragédies de Racine. Nous avons assez admiré; il nous est bien permis de rire un moment; et, comme dit Horace, Tout en riant, rien n'empêche de dire la vérité (1).

Mais auparavant, je crois devoir répondre sérieusement à des personnes très-éclairées, qui ont paru ne pas approuver que quelquefois je réfutasse, en passant, des opinions qui ne leur semblaient pas mériter d'être combattues: sur quoi je prendrai la liberté de leur faire quelques observations. D'abord, dans les matières de goût, il y a tant de diverses choses à considérer, qu'il n'est point du tout étonnant que sur plusieurs points il y ait diversité d'avis, même parmi les gens d'esprit. Ce principe est général, et prouvé par des exemples sans nombre. De plus, cette diversité d'opinions doit augmenter dans un temps où le paradoxe est la ressource vulgaire des esprits médiocres, et même quelquefois l'ambition mal entendue de ceux qui ne le sont pas. Ajoutez à ces causes d'erreur celle qui n'est pas moins commune, la mauvaise foi et la passion qui s'efforcent d'accréditer de fausses idées, soit pour rabaisser ceux qui ont des talents, soit pour favoriser ceux qui n'en ont pas. En voilà assez pour établir le combat éternel du mensonge contre la vérité, et de la déraison contre le bon sens.

(1)

Ridendo,

dicere verum

Quid vetat?

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