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(et c'est ainsi seulement qu'il pouvait nous être permis de le croire), quand l'éloquence elle-même, sous les traits de Cicéron ou de Démosthène, est montée dans la tribune d'Athènes ou de Rome, avec cet air de grandeur qu'elle devait avoir dans les anciennes républiques, et ce caractère énergique et fier, si naturellement empreint sur le front des orateurs de la liberté, si ridiculement contrefait de nos jours sur celui de la servitude factieuse ou de l'hypocrite tyrannie.

La muse de l'histoire s'est montrée à nous non moins majestueuse, entourée de tous les héros qu'elle faisait revivre. Mais, en descendant à l'âge suivant, la décadence nous a déja frappés. Les traits brillants de Lucain, tout l'esprit de Pline et de Sénèque, les pointes de Martial, n'ont servi qu'à nous faire sentir davantage quels hommes c'étaient que Cicéron, Virgile et Catulle. La Grèce ne peut plus se glorifier que de son Plutarque, qui se place encore au rang des classiques. Rome a son Quintilien, qui défend le bon goût du siècle précédent contre la corruption du sien; mais, plus heureuse que la Grèce, elle montre encore à la postérité un homme unique, Tacite, qui seul, la tête aussi haute que tout ce qui l'a précédé, reste debout, comme une colonne parmi des ruines.

Au-delà de ce point où nous nous sommes arrêtés, que trouvons-nous? un désert et la nuit.

Quelles sont les causes de ces étonnantes révolutions de l'esprit humain? Pourquoi ces éclipses si longues, qui succèdent à l'éclat du plus beau jour? D'où vient qu'on a vu le même flambeau tour-à-tour briller et s'éteindre, et se rallumer encore chez certains peuples, tandis que chez d'autres il semble avoir disparu pour toujours, ou même ne s'est jamais allumé pour eux? Quelle est cette espèce de prédilection accordée par la nature à certains siècles, où l'on dirait qu'elle a pris plaisir à développer toute sa puissance productive, à prodiguer ses richesses, à répandre ses trésors comme par monceaux? Inépuisable et toujours la même dans ses productions physiques, est-elle donc si bornée dans son énergie morale, et n'a-t-elle en ce genre qu'une fécondité passagère, qui la condamne ensuite à une longue stérilité? Cette question souvent agitée peut fournir cependant de nouveaux aperçus, quand il s'agira, vers la fin de ce Cours, de chercher un résultat satisfaisant dans la querelle trop longue et trop fameuse sur les Anciens et les Modernes. Aujourd'hui je ne me propose qu'un résumé rapide et succinct, où, ne m'arrêtant qu'aux faits, sans discuter les causes, je

rappellerai quel a été, à différentes époques, le sort des lettres et des arts, depuis la fin du siècle qui a suivi celui d'Auguste, jusqu'au temps où le génie vit renaître de beaux jours sous les Médicis, et répandit ensuite sous Louis XIV cette éclatante lumière qui a rempli le monde, qui offusque aujourd'hui plus que jamais la médiocrité jalouse et l'ignorance présomptueuse; mais qui appelle encore les regards des hommes de sens, comme dans une nuit obscure des voyageurs égarés tournent les yeux vers le point de l'horizon d'où l'on verra renaître le jour.

Quoiqu'on ait observé, avec raison, que le règne des arts a toujours été chez les Anciens, comme chez les Modernes, attaché à des temps de puissance et de gloire, il paraît cependant que, pour fonder et perpétuer ce règne, ce n'est pas une cause suffisante que la prospérité d'un gouvernement affermi. On en voit la preuve dans cette période de plus de quatre-vingts ans, qui s'écoula depuis Trajan jusqu'au dernier des Antonins, sous des souverains comptés parmi les meilleurs dont le monde ait conservé la mémoire. L'histoire remarque que les nations furent alors aussi bien gouvernées qu'elles pouvaient l'être, parce que la vertu était sur le trône avec une philosophie qui se piquait d'être éminemment

morale et religieuse, comme celle de notre siècle s'est piquée de n'être ni l'un ni l'autre. La vertu régna comme la loi : la terre fut heureuse et le génie fut muet. Il y eut encore quelques hommes d'esprit et de goût, tels que le critique Longin, le moraliste satirique Lucien, et, par la suite, des historiens du second ordre, tels qu'Ammien Marcellin, Hérodien et d'autres; mais, dans l'éloquence et la poésie, Rome et la Grèce étaient réduites aux déclamateurs et aux sophistes, les uns occupés à vendre des louanges, les autres enfoncés dans les disputes de l'école.

Cependant vers le milieu du quatrième siècle, lorsque l'empire romain, chancelant sous le poids de sa grandeur, était forcé de se partager pour se soutenir, lorsque Rome n'était déja plus la seule capitale du monde, quand les ressorts de l'autorité étaient affaiblis, quand les barbares menaçaient de tous côtés le peuple dominateur et corrompu, qui ne se défendait plus que par sa discipline militaire; une éloquence nouvelle naquit avec une nouvelle religion, qui des prisons et des échafauds venait de monter sur le trône des Césars. Cette voix auguste et puissante était celle des orateurs du christianisme; et le cercle des préjugés particuliers rétrécit tellement les idées, que peut-être entendra-t-on ici avec

quelque surprise des noms qui ne sont guère plus cités parmi nous que dans les chaires évangéliques, et qu'on s'étonnera de voir, au rang des successeurs de Cicéron et de Démosthène, des hommes en qui l'on est accoutumé de ne voir que les successeurs des apôtres (1). Mais

(1) Dans le compte qu'a rendu de cette séance un des coopérateurs des Nouvelles politiques, distingué par sa touche spirituelle et fine, il est dit que ce morceau a fait languir un moment l'attention, et qu'il aurait été applaudi il y a vingt ans. Je puis assurer que ce même morceau, où je n'ai rien changé, fut applaudi en 1788. Ce n'est pas qu'il y eût alors plus de religion qu'aujourd'hui; il, y en avait moins: mais c'était une autre espèce d'incrédules. Ceux d'alors l'étaient de la façon de Voltaire; ceux d'aujourd'hui le sont de la façon de Chaumette et d'Hébert. Les hommes instruits sentaient que l'orateur remplissait une partie essentielle de son sujet, en examinant une époque aussi remarquable que celle de l'éloquence chrétienne, la seule qui fut connue dans le monde pendant plusieurs siècles. Ils savaient qu'il n'était pas impossible qu'on fût un saint et pourtant qu'on ne fût pas un sot; qu'on pouvait louer le génie et les vertus d'un saint, même sans être dévot, comme Voltaire a loué saint Louis; qu'on pouvait aller jusqu'à nommer saint Au→ gustin et saint Chrysostome, sans faire une capucinade. Au reste, ce que j'en dis n'est pas pour me plaindre; au contraire, c'est pour nous féliciter de nos progrès. Du temps de Joseph Lebon, celui qui aurait nommé un saint eût été égorgé sur-le-champ. Aujourd'hui les athées jacobins se contentent de crier à la dévotion, en attendant mieux. Quel pas nous avons fait!

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