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mêmes. Car l'aveuglement de l'homme eft tel, qu'il y a peu de chofes dont il ne puiffe douter. Et ce qui eft encore plus étrange, il n'y a prefque point de raifon fi foible, qu'il ne puifLe préferer aux plus fortes & aux plus folides.

Les hommes s'engagent dans les erreurs comme ils s'engagent dans les autres crimes, & le déreglement de leur efprit eft à peu près femblable à celui de leur volonté. Quelque infinie que foit la difproportion qu'il y a entre -Dieu & les creatures, entre les choles éternelles & les temporelles, on ne laiffe pas de préferer tous les jours à Dieu & aux biens éternels, les moindres plaifirs & les moindres intérêts du monde; parce que l'on fent vivement ces intérêts & ces plaifirs, & qu'au contraire on ne conçoit Dieu & les chofes éternelles que foiblement.

C'est en cette même maniere que l'efprit fe laiffe emporter par les plus vaines lueurs & les plus mauvaises raifons. Il n'a pour cela qu'à s'y apliquer fortement. Car cette aplication fait qu'il ne voit que celles-là, & qu'il s'en remplit tellement, que toutes les autres

raifons

faifons n'y peuvent trouver d'entrée. La plupart des queftions ne fe doivent décider que par la comparaison des raifons de part & d'autre. Et c'est prefque toujours être temeraire que de fe déterminer fur celles d'un feul parti. Mais qu'il eft aifé de s'égarer dans cette comparaifon, ou de n'y proceder pas de bonne foi! Combien y en a-t'il qui n'ont pas affez d'étendue d'efprit pour comprendre tant de chofes tout à la fois? S'ils s'attachent à la confideration d'une raifon, ils oublient les autres, & ainfi ils ne les comparent pas véritablement. C'eft leur aplication prefente qui les détermine, & c'eft leur paffion qui les aplique; & par confequent c'e leur inclination, & non leur lumiere, qui eft le principe de leur perfuafion. Ce qu'il y a de plus terrible en cela, eft qu'étant fi facile d'une part que les hommes tombent dans l'erreur & l'illufion, il est très difficile de l'autre qu'ils s'en retirent, parce qu'ils ne connoiffent point les défauts qui les y ont engagez, & que n'ayant point d'autres yeux fpirituels pour les difcerner, ils jugent d'eux-mêmes & des autres chofes par ces yeux mêmes qui font mala

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des.

des. Ita fit ut animus de feipfo tùm judi. cet cum idipfum quo judicat agrotet.

C'eft pourquoi l'on ne fçauroit guere avancer un plus faux principe dans la Philofophie & dans la Religion, que de prétendre que ce que certaines perfonnes ne voient point, n'eft point.. Et c'eft néanmoins celui qui fert de fondement à cet étrange argument que M. Claude propose dans fa troifiéme tag 26. Réponse, en ces termes: Si les articles de la creance Romaine étoient dans les Peres en termes formels, nos yeux les y découvriroient s'ils y étoient en termes équivalens, ou qu'ils s'en tiraßent par des confequences évidentes & nécessaires, notre fens commun les y connoîtroit : mais après avoir fait une exacte recherche par toute forte de voie, les yeux & le fens commun nous déclarent qu'ils n'y font en aucune de ces manieres. A quoi il ajoûte. au même lieu, que cette peuve, quoique négative, eft de la derni. re évidence de la derniere certitude.

;

Si ce raifonnement eft bon, voilà tous les heretiques du monde juftifiez avec la derniere évidence. Car ils n'auront qu'à emprunter l'argument de M.. Claude, & à dire comme lui: Si

les.

les véritez que l'on nous veut faire croire étoient dans l'Ecriture en termes formels, nos yeux les y découvriroient; & fi elles étoient en termes équivalens, ou qu'elles s'en tiraffent par des confequences évidentes & néceffaires, notre fens commun les y connoîtroit. Or nous déclarons que ni nos yeux, ni notre fens commun ne les y découvrent point. Elles n'y font donc pas. M. Claude ne fauroit rien nier dans cet argument. La premiere propofition eft de lui-même. La feconde eft indubitablement vraye. Car encore qu'un heretique ait tort de ne pas voir une verité, il est néanmoins vrai qu'il ne la voit pas.

Mais s'il eft dans l'impuiffance de répondre à cet argument, les autres Theologiens n'y ont aucune peine, parce qu'ils mettent ce que M. Claude propofe comme étant de la derniere évidence, au rang des fauffetez les plus manifeftes. Car il arrive tous les jours qu'une vérité exprimée-dans l'Ecriture en termes formels ou équivalens, n'y eft pas néanmoins aperçue par les heretiques, parce que leur mauvaise difpofition leur fait prendre ces ter

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mes

mes en un autre fens que le veritable. Ainfi les Sociniens ont tort quand its concluent que la divinité de JESUS-: CHRIST n'eft pas dans l'Ecriture, de ce qu'ils ne l'y voient pas, & M. Claude a tort de conclure que la Tranfubftantiation n'est pas dans les Peres, de ce qu'il ne l'y aperçoit pas..

Mais s'il eft vrai que l'obfcurciffement de notre efprit & nos préjugez, nous peuvent empêcher de voir dans l'Ecriture & dans les Peres des veritez qui y font clairement contenues; & fi les perfonnes mêmes qui ont de la lumiere d'efprit comme M. Claude, peuvent propofer des faufletez évidentes comme des preuves de la derniere certitude, qui nous affurera que nous ne fommes pas du nombre de ceux qui fe trompent, & qui n'ont pas fait un bon choix en matiere de Religion, & que la perfuafion où nous fommes d'avoir bien choifi, n'eft point un effet de nos préjugez, de nos paffions, & de quelque attache fecrete à nos fentimens.

Ce doute eft terrible, & il l'est d'autant plus, qu'il ne nous eft pas permis d'y demeurer. On peut ne fe mettre pas en peine de l'incertitude des opi

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