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nations ne vivent plus dans l'isolement, comme aux siècles précédents. Par suite des progrès de la civilisation et de l'industrie, des rapports si intimes se sont établis entre elles, que rien de ce qui se passe chez l'une n'est indifférent pour les autres. Le désordre produit dans un État par la perpétration d'un crime a son contre-coup dans les pays voisins. Il est d'un intérêt général que l'impunité ne soit pas acquise au coupable, et que la loi triomphe partout le désordre et le crime sont contagieux.

L'extradition n'est pas seulement un moyen de répression; elle produit encore un effet de prévention. Les délits sont commis, pour le plus grand nombre, avec cette pensée que nourrit le coupable, d'échapper à la punition en dissimulant sa faute. Si les faits sont de telle nature qu'ils désignent nécessairement le délinquant, il reste à celui-ci une seule ressource: c'est de quitter le pays où il est connu et de se soustraire aux poursuites. De là vient que tant de criminels dangereux cherchent un refuge à l'étranger; non-seulement ils espèrent y dissimuler plus facilement leur présence et leur identité, mais ils comptent surtout y trouver un asile inviolable. Chaque nation est donc intéressée directement, pour empêcher ces calculs dangereux et prévenir les crimes, à repousser les coupables qui viennent se mettre sous la protection de sa souveraineté. C'est la pensée que Beccaria (1) a heureusement formulée dans une phrase qui a été bien des fois citée : « La per« suasion de ne trouver aucun lieu sur la terre où le crime demeure impuni serait un moyen bien efficace de le prévenir. » Enfin, chaque État est intéressé, à un troisième point de vue, à accorder les extraditions qui lui sont demandées : c'est la condition nécessaire de la réciprocité qu'il attend des autres Puissances. Dans les questions d'extradition, plus encore que dans toute autre, une exacte réciprocité est la base des relations internationales. Jamais un État ne consentirait à accorder des extraditions à une Puissance qui refuserait, de son côté, de restituer les malfaiteurs étrangers réfugiés sur son territoire. On a vu, par exemple, en 1865, la France dénoncer le traité d'extradition qui la liait à l'Angleterre, parce que la réciprocité n'était pas obtenue de cette dernière Puissance. Chaque peuple a donc intérêt, pour s'assurer la réciprocité de la part des autres pays, à autoriser les extraditions qui lui sont demandées.

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(1) Traité des délits et des peines, § 25, Des asiles.

Ainsi se trouve établie, dans ses divers éléments, la cause de l'obligation que l'État requis contracte dans une convention d'extradition : cette cause, nous le répétons, consiste dans la volonté de concourir à l'application des règles de la justice et d'obtenir la réciprocité.

Une telle cause est évidemment licite.

§ 4.

De l'objet dans le contrat d'extradition.

La dernière condition essentielle pour la validité du contrat d'extradition, c'est un objet certain, qui forme la matière de l'engagement. Ce contrat ne produit qu'une obligation, celle de livrer l'individu réclamé; l'objet est donc la remise de cet individu.

Cet objet est bien certain et déterminé. Mais ce n'est pas assez : il faut encore, pour que l'obligation soit valable, qu'il ne constitue pas, par sa nature, une chose naturellement ou légalement impossible.

Il n'y a point ici de secours à tirer des règles du droit civil. Il est incontestable que l'objet du contrat d'extradition n'est pas une de ces choses qui sont dans le commerce. Mais, pour qu'une chose puisse faire valablement l'objet d'une convention, il suffit, en droit international, qu'elle soit possible pour l'Etat qui s'oblige, et que cet État ait le droit de la faire.

L'État requis a évidemment le pouvoir de saisir et de livrer l'individu réfugié sur son territoire.

En a-t-il le droit ?

Il ne s'agit pas de savoir si le gouvernement, le pouvoir exécutif ou judiciaire de l'État requis, est autorisé par ses lois intérieures à effectuer un pareil acte. C'est là une question de droit public interne, que nous retrouverons plus loin. Il s'agit de savoir si de telles lois sont fondées en droit pur, et si un État peut être justement autorisé à arracher un homme de l'asile qu'il s'est volontairement choisi, et à le remettre, par la force, aux mains d'un pouvoir étranger. Il s'agit, en d'autres termes, de savoir si le droit d'extradition existe pour le pays de refuge.

C'est une des questions les plus délicates que la matière soulève.

Elle a donné lieu, comme on va le voir, à des théories bien différentes et à de vives controverses.

Un fait important qu'il ne faut pas perdre de vue au début de cette étude, c'est que le droit d'extradition est aujourd'hui revendiqué et exercé par toutes les nations. Le développement de l'institution internationale de l'extradition s'est étendu, depuis le commencement du siècle, sur toutes les parties du monde civilisé. Pas un peuple n'a été arrêté par ce scrupule, qu'il n'était peutêtre pas fondé à livrer le fugitif réclamé. Le fait a d'autant plus d'importance, qu'il se manifeste à une époque où la philosophie et la civilisation sont parvenues à effacer des codes la plupart des prescriptions contraires au droit naturel de l'homme. Il y a donc là, sinon une preuve, du moins une forte présomption de penser que le droit d'extradition repose sur de justes fondements.

Cependant, ce droit a été contesté par des jurisconsultes distingués. Il faut connaître et juger leurs objections.

Parmi ces jurisconsultes, il faut citer, d'abord, lord Coke, qui s'exprime ainsi dans ses Instituts (1) : « Il a été résolu que les « royaumes qui vivent en amitié les uns avec les autres doivent « être un sanctuaire inviolable pour les sujets respectifs qui cher«< cheront un asile dans l'un ou l'autre pays; et, d'après les lois et « libertés du pays, ces individus ne peuvent pas être livrés sur la « demande du gouvernement étranger. » Pour établir cette doctrine, lord Coke se borne à citer des textes de l'Écriture sainte et des exemples de refus d'extradition opposés par diverses Puis

sances.

Dans un Mémoire couronné par la Faculté de droit de Paris (2), M. Sapey a écrit ce qui suit :

« Il y a, en effet, une espèce de solidarité entre les nations civilisées; et, tout en reconnaissant que la juridiction de chacune d'elles ne pouvait dépasser ses frontières, elles ont cru cependant se devoir les unes aux autres de ne pas protéger de l'inviolabilité de leur territoire les coupables qui y cherchent un asile.

<< De là le droit de demander et l'usage d'accorder, dans certains cas, l'extradition des accusés, droit cruel, usage barbare que nos mœurs adoucies ont restreint dans les plus étroites limites. L'extradition ne s'accorde plus guère, aujourd'hui, que lorsqu'il s'agit de ces crimes qui

(1) Voir Revue étrangère, t. IX, p. 349.

(2) Les étrangers en France, IIIme partie, p. 206.

offensent l'humanité, et dont la répression importe à tous les peuples. Des traités conclus par la France avec plusieurs nations de l'Europe en ont assuré la restriction salutaire; on ne la demande qu'avec répugnance, on ne l'accorde qu'avec regret, et l'Europe, que les commotions successives dont elle a été le théâtre ont rendue tolérante, l'a, d'un accord à peu près unanime, proscrite en matière politique.

<< Disparaîtra-t-elle complétement un jour? Au mois de juin 4834, il avait été déclaré, au nom de la France, qu'elle ne demanderait ni n'accorderait plus jamais d'extradition. Pourquoi a-t-on été infidèle à ce principe? Pourquoi la terre de France ne sauve-t-elle pas le suppliant, comme elle affranchit l'esclave qui la touche? Serait-il donc si regrettable que le territoire de chaque nation, devenu sacré, fût un asile dans l'antique et religieuse acception de ce mot? S'il faut un châtiment, n'est-ce rien que l'exil? Les anciens le permettaient à l'accusé qui désespérait de sa cause, et la patrie croyait avoir assez puni le coupable qui ne devait plus la revoir. »

L'auteur, comme on le voit, témoigne hautement de ses sentiments contraires à l'extradition. Il souhaite que cette institution disparaisse du droit international, et, malgré certaines réserves qu'il a cru devoir formuler plus tard, ce vœu lui « paraît être celui « de l'humanité ». Nous croirions plus volontiers que le vœu de l'humanité est de prévenir le crime et d'en assurer la juste répression partout où il est commis. Quant à l'opposition que la pratique des extraditions rencontre de la part des États, le tableau qu'en fait l'écrivain est tout de fantaisie; il suffit, pour s'en convaincre, de suivre le développement si rapide que les relations internationales, en cette matière, ont pris depuis cinquante années. M. Sapey fait mention d'une déclaration du mois de juin 1831, par laquelle le gouvernement français se serait engagé à ne demander et à n'accorder, dorénavant, aucune extradition. D'après M. Mangin (1), qui en a parlé le premier, cette déclaration aurait été adressée à la Suisse. Nous n'en avons trouvé le texte nulle part L'existence en paraît d'autant plus douteuse que, deux ans plus tard, en septembre 1833, le gouvernement français passait avec le gouvernement suisse un arrangement pour effacer de la convention d'extradition de 1828 les crimes contre la sûreté de l'État; toutes les autres stipulations du traité étaient maintenues en vigueur. On sait que, depuis lors, le gouvernement français s'est toujours montré favorable à la pratique des extraditions et a con

(1) De l'extradition en matière criminelle. Revue étrangère, t. IV, p. 92.

tribué, pour la meilleure part, à en déterminer les règles. On remarquera enfin que M. Sapey ne paraît pas même admettre qu'il puisse y avoir, pour le pays requis, un droit d'autoriser l'extradition de l'individu réclamé; il constate que des extraditions sont effectuées; mais, ce n'est, à ses yeux, qu'un usage fondé sur l'intérêt commun des nations, un usage barbare et rien de plus. Pinheiro-Ferreira (1) va plus loin: il prétend démontrer que l'État requis n'a pas le droit de livrer l'individu réclamé.

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Voyons les arguments présentés à l'appui de cette thèse.

On part de ce principe « que nul gouvernement, nul peuple « n'a le droit de défendre à l'étranger inoffensif la libre entrée de << son territoire. » On ajoute qu'il doit y jouir de tous les droits civils, à l'égal des nationaux. D'où l'on tire la conséquence qu'il est justiciable des tribunaux du pays pour toutes les contestations où il est intéressé, même pour des affaires passées entre lui et un autre étranger en pays étranger. En effet, dit-on, la raison de la compétence des juges n'est que la paix du pays. « Si les parties pouvaient en venir à un accord sans l'inter«vention d'un tiers, il n'y aurait aucun besoin de juges; mais, lorsqu'une des parties s'opiniâtre à refuser à l'autre ce que «< celle-ci aurait le droit d'exiger d'elle, et ne lui laisse d'autre << moyen de l'y amener qu'en employant la force, la paix publique « serait troublée, si la loi n'y avait pas pourvu ainsi qu'elle a fait. << Elle a donc enjoint aux parties, qui ne sauraient s'accorder sur « leurs différends, de s'en rapporter à la décision des juges, en qui elles et la nation avaient de la confiance; et, dès lors, ces « juges ont été revêtus de toute la compétence pour être saisis des « affaires qui, d'après les lois de leur institution, leur seraient « déférées. Or, cette raison de la compétence n'a pas moins lieu « pour les étrangers arrivés dans le pays que pour les nationaux « qui n'en sont jamais sortis. » Que le poursuivant soit un particulier ou un gouvernement, peu importe! La loi locale, qui ne lui permet pas de se faire justice à lui-même, serait inique, si elle ne lui assurait un moyen d'obtenir la réparation qui lui est due. Suffira-t-il au pays de refuge de renvoyer les deux parties devant les tribunaux de leur pays? Nullement : il porterait ainsi atteinte au droit qu'a l'étranger de séjourner librement partout où il veut, « aussi longtemps qu'il n'abuse pas de ce droit en apportant pré

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(1) Revue étrangère, t. I, p. 65. Observations sur la loi belge du 1er octobre 1833

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