ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

TROISIÈME CONFÉRENCE

LES MIRACLES

M. L'ABBÉ POULIN

MESSIEURS,

Nous l'avons vu, l'affirmation par le Christ de sa filiation divine doit être entendue au sens propre, et signifie sa divinité; c'est ainsi qu'elle apparaît nettement dans les textes de nos quatre Évangiles, et c'est si vrai qu'en présence de ce fait la critique ennemie elle-même, hésitante, se divise en deux courants opposés.

Les uns se sont efforcés d'expliquer cette affirmation incontestable du Maître par ce qu'ils appellent les nécessités de sa mission, les entraînements du milieu, et une certaine faiblesse qui l'aurait porté à s'arroger ce titre pour arriver mieux et plus vite à ses fins. C'est l'hypothèse de l'illusion, non pas de l'illusion qu'on se fait à soi-même, mais de l'illusion qu'on

donne aux autres. Le Christ a été, si vous voulez, un illusionniste, un trompeur; il a accepté des hommages qu'il savait ne pas devoir être siens; il s'est attribué des privilèges absolument étrangers à sa personne, et il a commis, ce faisant, un mensonge. Vous aurez beau retourner de toutes les façons cette hypothèse, il faudra toujours en revenir au mensonge, avec tout ce que ce mot comporte d'odieux.

A ce sujet, j'ai reçu de l'un d'entre vous, cette semaine, une lettre dans laquelle mon honorable contradicteur me disait : « Voyez, on permet très bien à un homme du monde d'user de quelque léger mensonge et de pallier un peu les choses, quand c'est pour un bon but. Or, dans l'hypothèse que pose Renan, le mensonge, c'est le bonheur pour le peuple, c'est le progrès, tandis qu'au contraire la vérité, c'est le mal, c'est la tristesse, c'est quelque chose de décevant. Il ne faudrait donc pas en vouloir au Christ d'avoir cherché à en imposer aux foules. »

Mon Dieu, je ne voudrais pas faire accepter d'urgence mon opinion à mon honorable contradicteur, mais il me permettra de la garder tout entière et de protester de toutes les forces de mon esprit et demon cœur contre un tel caractère attribué à la personne adorable de Jésus.

Tous les Évangiles se dressent et protestent, et cette protestation, qui s'élève en moi, je ne l'y sens que parce que je suis l'enfant de dix-neuf siècles de christianisme, et parce que cet amour de la vérité, de la sincérité, découle des paroles de flamme de ce Maître divin. C'est lui qui nous apprit le respect de la vérité et l'horreur du mensonge; on a pu connaître ce sentiment dans d'autres écoles et avant lui, mais jamais au même degré.

Prévenons donc tout malentendu de ce genre, et flétrissons énergiquement l'hypothèse d'un succès acheté, non au prix d'un léger mensonge, d'une petite illusion, mais au prix d'un épouvantable mensonge et d'une effroyable illusion.

Cette hypothèse doit être irrémédiablement écartée. Elle est malheureusement bien celle de Renan, car, outre les passages que je vous citais l'autre jour, j'en ai encore parcouru d'autres, ce soir, qui ne sont pas moins tristement clairs; il y est question de mille feintes et détours des Orientaux, qui serpentent à travers l'imposture, de faux que l'on commet innocemment, de gens qui ne voient les choses qu'à travers leurs préjugés et leurs passions; c'est là une argumentation que je comprends chez le renégat, mais que je n'admettrais pas chez le héros des Évangiles.

La seconde hypothèse proposée par les rationalistes est celle de l'hallucination; le Christ s'est imaginé être Fils de Dieu au sens propre, c'est-à-dire être de la nature de Dieu (1).

Là-dessus, un autre contradicteur m'écrit, avec beaucoup de bienveillance et je saisis cette occasion pour remercier vivement ces Messieurs de la parfaite courtoisie dont ils ont usé dans leurs observations, d'ailleurs très utiles: « Si le Christ s'est imaginė être Dieu, c'est peut-être en vertu d'une idée fixe. Or, l'idée fixe n'est pas seulement particulière à la folie, elle est aussi spéciale au génie, et d'aucuns

(1) « Oui, charlatanisme ou hallucination, voilà les deux hypothèses entre lesquelles l'apostasie vous laisse le choix ; et vous l'avez si bien compris, que vous adoptez l'une et l'autre. Nous le savons, soit reste de pudeur, soit tout autre motif, vous avez évité de dire le mot dans votre livre; mais la chose y est, et il ne s'agit que de cela. Qu'importent vos révérences, vos dithyrambes et vos invocations? En style populaire, cela s'appelle de la graine de niais. Ce que nous devons chercher dans votre ouvrage, c'est la pensée qui en fait le fond; et ce que vous êtes en droit d'exiger de nous, c'est que, textes en main, nous vous fournissions la preuve.

» Et d'abord, si l'on voulait tracer le portrait d'un imposteur, comment s'y prendrait-on, si ce n'est en disant de lui << qu'il se laissait donner avec plaisir le titre de fils de David sans lequel il ne pouvait espérer aucun succès, quoique ce

ont prétendu qu'il n'y a entre le génie et la folie, à ce point de vue, que la distance d'un millimètre. »

C'est là un proverbe banal, qui ne coûte pas cher, mais ne vaut pas mieux que ce qu'il coûte, et il m'a toujours paru que c'était un de ces grossiers paradoxes dont il faudrait faire bonne justice. Revanche des

sots. Sans doute, dans les deux cas, il y a une grande dépense d'obstination, mise au service d'une idée qu'on veut faire prévaloir: le fou, comme l'homme de génie, a son idée, qu'il prétend imposer aux autres; c'est ici la ressemblance. Mais la différence est profonde; le fou n'a pas choisi son idée; c'est

titre lui causât quelque embarras, sa naissance étant toute populaire, qu'il laissait croire, pour satisfaire les idées du temps, qu'une révélation d'en haut lui découvrait les secrets et lui ouvrait les cœurs; qu'il se plaisait fort à de petites ovations, étant bien aise de voir de jeunes apôtres, qui ne le compromettraient pas, se lancer en avant et lui décerner des titres qu'il n'osait prendre lui-même; qu'on ne saurait lui demander ni logique, ni conséquence, parce que le besoin qu'il avait de se donner du crédit et l'enthousiasme de ses disciples entassaient des notions contradictoires; qu'il jouait le rôle de thaumaturge, bien qu'il sentit la vanité de l'opinion à cet égard; qu'il a constitué sa royauté sur une grande équivoque, etc., etc.?» (Vie de Jésus, 132, 238, 162, 192, 251, 265, 404.)

(Mgr FREPPEL, OEuvres polémiques, p. 68-69.)

« ÀÌÀü°è¼Ó »