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Je n'ignore point, Seigneur, que c'eft un crime aux enfans qui ont des peres auffi tendres que vous, d'abuser de leur bonté, en engageant leurs cœurs fans leur confentement ; mais, Seigneur, on n'est point maître d'aimer ou de hair. Quelque chofe de plus fort que la raifon conduit notre penchant ; & s'il en eft pour excufer ma faute, le rang de la Princeffe de Grenade, & la gloire de contribuer à sa converfion, peuvent feules le faire. Enfin, Seigneur, fongez que le Duc d'Ar cos auroit uni avec plaifir Almahide à Ponce de Leon fon fils, fi la politique des Rois Ferdinand & Ifabelle ne l'avoient placée fur le Trône de Grenade. Et enfin, fongez que par l'alliance que j'ai la témerité de vous propofer, vous rendez un frere à la Ducheffe ma mere, & que vous

mettez fous la puiffance de notre Monarque, un Prince & deux Princeffes qui font l'ornement & le foûtien de l'Empire des Maures. Cependant fi mon amour vous irrite, que votre courroux ne fe faffe point fentir à Dona Elvire, dont l'auftere vertu lui a fait prendre la réfolution de fuivre aveuglément vos volontés, quoiqu'il en puiffe coûter à fa tendreffe. Pour moi, Seigneur fi je ne puis vous attendrir, fi je perd l'espoir de vous voir consentir à ce qui peut faire ma felicité, je trouverai affez d'occafions dans cette guerre, de vous délivrer d'un fils qui détestera la vie, s'il a eu le malheur de vous déplaire.

Le Duc de l'Infantade avoit écouté tout ce difcours avec une émotion terrible. La colere, la gloire & l'amour paternel livroient un combat cruel dans

fon cœur ; tantôt irrité, tantôt attendri, on eût dit qu'il difpu toit lui-même auquel de ces fentimens il donneroit la victoire. Enfin, compaffant les grandes qualités de fon fils avec fon crime: fes vertus, fa valeur dont il avoit donné de fi glorieufes marques, & plus que tout cela, fon refpect & fa foumiffion joints à fes dernieres paroles, firent triompher l'amour de pere: & laiffant couler quelques larmes comme un témoignage de fa bonté, il fit relever Dom Alvare, & le regardant avec une majesté dont sa sensibilité adoucifloit l'éclat : C'en eft fait, lui dit-il, mon fils, mon cœur a vaincu les juftes mouvemens de colere que mon autorité bleffée avoit excité contre vous. Je trouverois fans doute des raifons plus fortes que les vôtres, pour m'opposer à ce que vous souhai

tez ; mais je ne veux plus écouter que ma tendreffe, & puifque vous fentez vous-même que vous ávez commis un crime en vous engageant & en portant votre foeur à s'engager fans mon aveu avec les ennemis de votre Patrie & de votre Religion, je ne vous traiterai point en criminel, je vous parlerai plûtôt en ami fincere qu'en pere abfolu, en vous remontrant que des hommes tels que nous, doivent facrifier leurs paffions à leur gloire, ou les faire fervir à l'augmenter; que nous fommes comptables de nos pen

fées & de nos actions aux Princes aufquels nous obéiffons, & que d'en agir autrement c'eft trahir l'Etat & fon Roi. Ainfi, mon fils, faites donc que l'ardeur dont vous brûlez, ne ferve qu'à relever l'éclat du zele que vous devez avoir & pour l'un & pour l'autre.

Je confens aux alliances que vous defirez, pourvû que vous ne regardiez l'amour que comme un Heros doit l'envisager, & que les Rois approuvent vos defirs. Je vous promets de les y engager & de me fervir même des raisons politiques qui peuvent les y porter; mais fi malgré mes foins qui feront finceres, je ne puis en rien obtenir, fouvenez-vous, Dom Alvare, que vous êtes né pour obéir, & que la moindre foibleffe feroit une tache éternelle à votre memoire.

A ces mots il l'embraffa, & pour le convaincre de la verité de fes promeffes, l'ayant pris par la main, il le mena à l'appartement qu'il avoit fait donner chez lui au Prince de Grenade, & s'avançant à lui les bras ouverts: Puifque Dom Alvare, lui dit-il en l'embraffant, m'a donné les

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