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impoffible de vous obéir. Je l'aime, je l'adore; je veux le lui dire, m'en faire aimer, ou mourir à Les pieds.

LA FÉE.

Mon art eft bien puissant ; je suis la Fée souveraine; je puis en un instant bâtir des Palais, exciter des tempêtes, & changer un lieu charmant en un defert affreux; mais je vois qu'il eft au-deffus de mon pouvoir, de gouverner un jeune fou à qui l'Amour tourne la tête. Eh bien, mon fils, perdezvous; perdez Lucinde ; & détruisez par votre imprudence, les mesures que j'ai prises jusqu'à préfent pour affurer votre bonheur avec elle.

ALCIN DOR.

Mais, quelles raisons avez-vous, pour ne vouloir pas qu'elle me voie ?

LA FÉE.

Apprenez-les donc enfin. Au moment de votre naiffance, je fis confulter l'Oracle sur votre destinée :

« Le fils de la Fée fouveraine, répondit-il, eft » menacé de grands malheurs ; mais il les évite» ra, & sera même heureux, s'il peut fe faire » aimer d'une jeune Princeffe, qui le croira fourd, » muet, infenfible. »

دو

ALCINDOR.

Sourd, muet, insensible !

LA FÉE.

Jugez, mon fils, par la tendresse que j'ai pour vous, combien cette réponse m'affligea: cependant, à force d'y rêver, j'efpérai, en prenant certaines mefures, de détourner les malheurs qui vous menaçoient, & de voir l'accomplissement de l'Oracle, quelque impoffibilité qu'il y parût.

AL CINDOR.

Je n'ai pas, Madame, la même confiance que vous dans la bizarrerie du goût des femmes, & je ne croirai jamais...

LA FÉE.

Ecoutez-moi. Au même inftant que vous vites le jour, naquit auffi une Princeffe, fille d'un Roi voifin de cette Ifle: (c'eft votre Lucinde.) Je l'enlevai, & la tranfportai dans ce Palais, inacceffible à tous les humains. Elle n'y a été fervie que par des ftatues, & n'y a vu que des figures infenfibles, auxquelles, par la puiffance de Féerie, j'imprimois toutes fortes de mouvemens. Loin de lui donner quelque idée de ce qui se passe dans le monde, j'ai tâché jufqu'à préfent de lui

per

fuader que nous y fommes, elle & moi, les feuls êtres qui parlent, qui penfent, qui connoiffent & qui raifonnent; & que tous les autres, formés uniquement pour nous fervir, ou pour nous amufer, font abfolument infenfibles, fans connoiffance, & incapables également d'amour & de haine, de douleur & de plaifir.

ALCIN DOR.

Quel a été, & quel eft le but de tous ces faux préjugés où vous avez élevé fon enfance?

LA FÉE.

De lui faire croire, en vous préfentant à elle, que vous n'êtes qu'une poupée...

ALCIN DOR.

Une poupée ?...

LA FÉE.

Oui, une espèce de marionette organisée audeffus des tailles ordinaires.

ALCIN DOR.

J'entends cette idée me divertit, & peut réuffir. Pfiché ne voyoit point l'Amour; elle le croyoit un monftre; cependant elle l'aimoit. L'imagination féduite par vos preftiges, Lucinde me croira tel que l'Oracle exige qu'elle me croie; c'est-à

Tome I.

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dire, n'ayant une bouche & des yeux que pour l'agrément; cependant elle m'aimera : on peut tromper la raifon, mais jamais le fentiment : fon cœur recevra de la Nature des avis qu'elle goûtera, fans les comprendre, & qu'elle fuivra par instinct, comme l'Abeille va cueillir le parfum des fleurs. Cette intelligence, cette chaîne, cette force fympathique des cœurs agira... Oui, Madame, elle m'aimera; & je ferai, dans ce jour, le plus heureux des mortels, Allons la trouver : vous pouvez compter, puifque l'intérêt de mon amour l'exige, que je fuis une ftatue, une vraie ftatue, un marbre infenfible.

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LA FÉE.

Il n'est pas encore tems que vous paroiffiez... je l'apperçois; retirez-vous vîte, & paffez par ce cabinet. Dans la converfation que nous allons avoir ensemble, je vais préparer les chofes, & tâcher de les amener à votre fatisfaction.

ALCINDOR.

Un mot. Quand elle badine avec fon chien, il la careffe; ne pourrai-je pas auffi, fi elle badine avec moi?...

LA FÉE.

Bon! voilà l'homme de marbre? (Le faifant fortir.) Sortez, vous dis-je, fortez donc.

SCÈNE I I.

LA FÉE, LUCINDE. LUCINDE entre en rêvant profondément.

CE

E n'est point une illufion.... ce n'est point un fonge; il avoit la bouche fur ma main.

LA FÉE.

Que dites-vous, Lucinde?

LUCIN D E.

Ah!... je ne vous voyois pas.

LA FÉE.

Il avoit la bouche fur votre main? Eh qui?

LUCINDE.

Je ne fais. Il a disparu comme un éclair; mais il femble qu'en baisant ma main, il y ait imprimé un trait de flamme, qui depuis ce moment agite mon cœur... Oui, depuis ce moment je net fuis plus la même ; je cherche... Eh quoi? Je ne puis l'expliquer. Il femble què je refpire un autre air... Toute la Nature me paroît plus riante, plus animée.... Quelle union, quelle tendreffe, ma bonne, je viens d'admirer dans deux retits

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